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DU DÉLIT
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COMMISSION PAR OMISSION
ESSAI DE THÉORIE PÉNALE
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2 INTRODUCTION
firmative, on vertu do quelle formule on doit leur en faire
Tapplication. En d'autres termes, un dt^lit peut-il, indé-
pendammentd'un texte spécial, être commis par omission?
Au premier examen de la question, un scrupule surgit:
Une telle étude est-elle utile? La raison d'en douter est
double. Nous verrons, d'une part, que la science alle-
mande a produit, sur ce sujet, une somme énorme de tra-
vail, pour n'aboutir, en somme, qu'à un bien mince résul-
tat ; et,. à Tinverso, les criminalistes français sont passés
à côté de la question sans lui reconnaître aucune impor-
tance.
Nous nous exposons donc à la fois au reproche de pré-
somption et à celui de puérile subtilité. Cette crainte nous
a préoccupé, mais no nous a pas découragé. En matière
pénale, l'intérêt didactique a une importance au moins
égale au côté pratique. Lorsque l'homme s'arroge le droit
d'établir une ligne de démarcation entre le juste et Tin-
juste, lorsqu'empruntant à la divinité le plus élevé de ses
attributs, il sY»rige en justicier, il faut que la légitimité de
son action ne puisse faire l'objet d'aucun doute. Les prin-
cipes de la loi pénale doivent nous apparaître, non pas à
la suite des timides tâtonnements de Texpérience, mais à
l'éclatante lueur de l'évidence ; la science pénale est une
des sciences qui n'ont pas le droit d'être faillibles ni même
soupçonnées de faillibilité. On peut sourire parfois de ces
esprits inquiets, travailleurs infatigables, qui trouvent
leur satisfaction à se poser à eux-mêmes de subtils pro-
blèmes, pour le plaisir de les résoudre, et sans d'ailleurs
INTRODUCTION O
y réussir toujours. Mais si leur labeur n'est pas sans
grandeur, car la recherche de la vérité mérite toujours
d'être honorée, en matière pénale, il n'est pas non plus
sans utilité : il est bon que l'on soumette, sur tous les
points, les prescriptions des lois répressives au critérium
de l'analyse la plus subtile; il faut que Ton s'assure
qu'elles ne présentent aucune lacune injustifiable, aucune
prescription inexpliquée, et qu'on n'y laisse debout aucun
de ces points d'interrogation, qui hérissent à chaque pas
la science humaine et qui nous rappellent, sans cesse, la
faiblesse de notre esprit. Dans ce domaine, tout problème
posé doit être résolu, fût-ce d'une façon négative et en dé-
montrant qu'il ne comporte pas de solution.
Si nous pouvons disculper ainsi notre travail du re-
proche d'inutilité, pourrons-nous éviter aussi facilement
celui de présomption ?
Nous venons de lire les volumes compacts que la science
allemande a consacrés à l'étude de la question. Toutes les
espèces ont été prévues et analysées, toutes les hypo-
thèses ont été présentées ; des esprits éminents se sont
acharnés à la solution du problème ; et il ne semble pas
cependant qu'elle ait fait un pas. De ces longues pages,
il ne reste que le souvenir de subtilités qui fatiguent l'es-
prit, sans le satisfaire, et nous n'en pourrons pas retenir
un seul principe qui puisse nous servir de guide.
Là où tant de maîtres ont échoué, comment espérer
réussir ? Nous essaierons cependant. Nous attribuons en
effet leur insuccès à une erreur de méthode. En procé-
dant autrement, peut-être serons-nous plus heureux.
4 INTRODUCTION
Ceci nous amène à justifier le procédé de raisonnement
auquel nous nous proposons de recourir. Deux méthodes
se partagent le domaine de la science : Tune, la méthode
inductive, collectionne les faits, les analyse, les groupe,
les compare, et de leurs similitudes ou de leurs différences
s'applique à induire des lois générales. L'autre s'élève
d'abord jusqu'à celles-ci, s'efforce de les saisir par la seule
puissance de l'esprit, et, ces lois une fois trouvées, elle
en déduit les applications aux faits. C'est la méthode dé-
ductive.
Des deux, quelle est la meilleure ? Il semble que la
mode soit à l'induction. Cependant, comment ne pas com-
prendre que ces deux méthodes opposées ne sont pas ri-
vales, que chacune a son champ d action, dans les limites
duquel elle peut rendre des services, mais que l'employer
dans le champ opposé c'est multiplier leschances d'erreur?
Toutes les fois qu'il s'agit d'objets qui s'offrent à notre
scalpel ou tombent dans le champ d'action de notre mi-
croscope, la méthode expérimentale est logiquement indi-
quée. Mais si, au contraire, il s'agit d'un de ces problèmes
qui touchent aux fins de l'homme et à son r6le dans la
société, seule la méthode déductive est possible.
Vouloir chercher dans l'analyse des faits extérieurs des
raisons de décider, se livrer à l'étude et à la comparaison
des diverses législations, chercher à combiner les opinions
des penseurs qui nous ont précédés, c'est multiplier peut-
être, par le nombre d'observations, les probabilités d'er-
reurs iuhérenles à toute opération de l'esprit.
INTRODUCTION
*
L'homme doit porter en lui-même le secret des règles
qui gouverneront son existence et détermineront son rôle
dans la société.
Ceci apparaît scientifiquement vrai, si Ton se place au
point de vue physiologique. Le grand principe qui gou-
verne le monde, c'est celui de Tunité dans la variété. A
tous les degrés de l'échelle organique, on retrouve les
mêmes lois s adaptant aux circonstances et aux milieux,
changeant d'aspect, mais demeurant au fond toujours sem-
blables à elles-mêmes. De ces lois, la plus importante est
peut-être celle qui veut que chaque molécule tende d'elle-
même à prendre la place qu'elle doit occuper dans l'uni-
verselle harmonie des choses. C'est ainsi que la goutte
d'eau porte en soi la force qui maintiendra le liquide en
équilibre dans le vase oîi il est renfermé. Comment admet-
tre que, dans cette uniformité générale de la nature,
l'homme seul constitue une monstrueuse exception ?Pour
suppléer à la loi fatale qui arrête ou lance en avant la
matière inerte, à l'instinct qui guide l'animal, il a la
raison. C'est elle qui lui dictera la loi suivant laquelle il
doit collaborer à Tordre social.
Mais cela paraîtra plus évident encore à ceux qui, comme
nous, croient à une volonté créatrice ayant placé l'homme
sur la terre, pour y poursuivre un but supra-terrestre.
Comment admettre que le Créateur, en faisant à sa créa-
ture ce don magnifique et dangereux de la liberté, Tait
6 INTRODUCTION
laissée sans guide au milieu des incertitudes de la vie, et
n'ait point imprimé en elle l'indication du chemin qu'elle
doit suivre, ou tout au moins une faculté merveilleuse-
ment apte à le découvrir ?
Donc, toutes les fois qu'il s'agira de poursuivre la solu-
tion d'une question de morale individuelle ou sociale, ou
de combler quelque lacune, d'interpréter quelque obscu-
rité des lois positives, traduction et développement des
lois naturelles, nous devrons rentrer en nous-mômes et
écouter, sans nous laisser distraire parles bruits du dehors,
les voix de la conscience et de la raison ; ce sont elles qui
nous révéleront les règles qui président au développe-
ment de la vie de l'individu et à l'harmonie de la société ;
et par une série de déductions, nous arriverons avec au-
tant de certitude qu'en comporte le raisonnement humain,
à déterminer les principes secondaires tels que celui dont
nous poursuivons aujourd'hui la formule.
Est-ce à dire qu'il faille négliger les données de l'expé-
rience ? Non certes. Seulement nous ne les utiliserons
que comme moyen de contrôle, et non comme procédé de
solution.
Lors donc que nous aurons dégagé les principes, nous
en ferons application aux diverses hypothèses que la pra-
tique nous offre, nous les comparerons avec les textes des
diverses lois pénales, et si nous obtenons une concordance
satisfaisante, nous pourrons espérer avoir atteint la vérité.
INTRODUCTION
Notre plan va donc s'établir ainsi : malgré le peu d'im-
portance des résultats obtenus par les nombreuses théo-
ries émises en Allemagne sur notre problème, il pourra
être utile d'en esquisser l'historique. Ce sera une inté-
ressante et nécessaire introduction à notre travail.
Bien que seule la science allemande ait donné à la
question de la commission par omission une importance
considérable ou, pour mieux dire, en ait reconnu Texis-
tence, nous devrons également, pour être complet, exami-
ner comment dans le droit ancien et parmi les auteurs
modernes on a considéré la commission par omission.
Après avoir terminé ce travail historique qui sera, nous
pouvons le dire à Tavance, un peu stérile, nous entrerons
dans le cœur môme du sujet.
Nous commencerons p?r analyser les éléments divers
de la punissabilité d'après nos lois répressives ; nous
déterminerons quels sont ceux de ces éléments qui sont
communs aux commissions simples et aux commissions
par omission et les points sur lesquels ces deux catégories
diffèrent. Cette comparaison devra nous donner la for-
mule de la punissabilité de la commission par omission
dans le droit positif.
Pour déterminer la portée générale de cette formule, en
même temps que pour la justifier théoriquement, nous
devrons ensuite, abandonnant pour un instant les contin-
gences de la loi pénale, examiner la question à un point
i
8 INTRODUCTION
de vue plus élevé, et empiéter sur le domaine du droit
public.
Peut-être estimera-t-on qu'il est nécessaire de nous en
excuser. Ainsi que le constatait récemment à Taudience
de rentrée de la Cour d'appel de Paris une voix autorisée, les
diverses branches des sciences économiques ou juridiques,
distinctes dans leur domaine d'application, sont commu-
nes quant à leur origine et quant à leur but, puisque leur
existence est également basée sur le fondement même de
la société et qu'elles sont également destinées à régir les
rapports des hommes entre eux.
Le droit pénal, du reste, n'est qu'une des branches du
droit public. C'est donc aux principes de ce droit que nous
devrons remonter, toutes les fois que, pour interpréter
une disposition pénale, nous aurons à rechercher Torien-
tation et l'esprit des lois répressives.
Logiquement, en eiïet, il ne nous sera possible de nous
prononcer sur la punissabilité de la commission par omis-
sion, que lorsque nous aurons, au préalable, établi la na-
ture, l'origine et l'étendue du droit de punir. Nous ne
pourrons également nous expliquer à nous-mêmes les
dispositions applicables à la matière dans les différentes
législations, qu'à la condition d'avoir déterminé le concept
social qui a inspiré le législateur.
Notre formule ainsi établie en droit public, nous recher-
cherons si elle est conforme aux principes généraux de
nos Codes et quelle application en a faite la jurisprudence.
11 ne nous restera plus qnh examiner les diverses
INTRODUCTION
9
modalités de la commission par omission ; nous le ferons
d'une façon sommaire, ne voulant ni élargir à Texcès les
bornes de ce travail, ni passer absolument sous silence
des éléments aussi importants de notre étude.
Enfin, dans de rapides conclusions, jetant un regard sur
l'avenir, nous nous demanderons si on peut attendre et
s'il faut souhaiter une modification de la formule actuelle
dans un sens extensif ou restrictif.
Ce cercle parcouru, nous devrons peut-être, nous aussi,
avouer notre impuissance à fournir au problème une solu-
tion nouvelle ; mais nous aurons — nous l'espérons tout au
moins — analysé les raisons de cette impuissance, et jus-
tifié en droit public la théorie presque négative adoptée
par les lois et la jurisprudence actuelle, en matière de pu-
nissabilité des délits de commission par omission.
Au surplus, nous ne prétendons pas aux palmes qu'on
décerne aux vainqueurs, mais simplement à l'indulgence
qu'on ne refuse jamais aux travailleurs de bonne volonté.
CHAPITRE PREMIKR
PROBLÈME DE LA COMMISSION PAR OMISSION
Le problème de la commission par omission naît de Top-
position de deux principes qui, en eux-mêmes, présentent
chacun une part de vérité et qui cependant paraissent dif-
ficiles à concilier dans leurs conséquences.
D'une part, il est certain que l'omission d'un acte
même indifférent en soi peut entraîner un résultat anti-
juridique. On peut tuer aussi bien en omettant qu'en agis-
sant. Il peut y avoir dans Tun et dans l'autre cas une
même volonté criminelle. La conscience n'hésite pas à
considérer comme également coupables celui qui précipite
un homme à Teau et celui qui pouvant sauver, en lui
tendant la main et sans danger pour lui-même, son sem-
blable qui se noie, le laisse mourir avec la pensée de pro-
fiter de sa mort.
Faudra-t-il donc transporter cette proposition du do-
maine de Téthiquedans celui du droit pénal, et assimiler
au point de vue de la responsabilité, l'acte criminel résul-
tant d'une omission et celui commis par une action ?
A première vue, ceci parait inadmissible : ce serait se
mettre en opposition avec l'unanimité des législations,
étendre démesurément le champ de l'intervention de
12 CHAPITRE PREMIER
rindividu dans les affaires de ses semblables, faire du de-
voir moral d'assistance une obligation permanente, juri-
diquement sanctionnée. Cette conception est inconciliable
avec notre état social actuel.
Faut-il donc admettre le principe opposé et, partant de
cotte proposition que la loi pénale peut défendre à Tin-
dividu de troubler son semblable, mais ne saurait le
contraindre à intervenir en sa faveur, en conclure que
romettant ne devra jamais être déclaré responsable du ré-
sultat, même criminel, même voulu, de son omission ? Le
point de départ peut paraître vrai en lui-même, mais il est
impossible d*en appliquer avec rigueur les conséquences.
Le bon sens, ce sentiment de justice pratique qui est en
nous, affirme quil est des commissions par omission
qui doivent être réprimées par la loi positive, et c'est en
effet ce qu'ont fait toutes les législations.
La vérité doit donc se trouver entre les deux principes
extrêmes que nous avons énoncés. Il y aura des commis-
sions par omission qui relèveront de la justice humaine,
d'autres qui relèveront uniquement du tribunal de la cons-
cience.
Mais quel sera le critérium qui nous permettra de dé-
terminer ces deux catégories?
Faudra-t-il reconnaître au législateur le droit de faire
arbitrairement cette délimitation, en s'inspirant des con-
venances et de l'opportunité? Bien que la plupart descri-
minalistos français n'hésitent pas a l'admettre, nous nous
résignerons difficilement i\ penser que la loi puisse être
sa raison à elle-même.
PROBLÈME DE LA COMMISSIOiN PAR OMISSION 13
Nous estimons, en effet, que tout texte de droit pénal
doit être la traduction, le commentaire et le développe-
ment d'un principe de droit naturel. Ce n'est qu'à cette
condition que, derrière la lettre do la loi, nous pourrons
apercevoir son esprit, et qu'il nous sera facile d'en com-
bler les lacunes et d'en dissiper les obscurités.
Lors donc qu'on déclare que la commission par omis-
sion ne sera punissable que si elle constitue la violation
légale d'un devoir d'agir, on donne une solution empiri-
que ou, pour mieux dire, on n'en donne pas du tout et on
répond à la question par la question elle-même.
Faudra-t-il donc rattacher le problème à celui de la
causalité et dire que le résultat criminel de l'omission ne
sera puni qu'en tant que celle-ci sera causale ?
Nous allons voir, dans les pages qui suivent, que la
science allemande s'est orientée dans ce sens et que ses
efforts n'ont abouti qu'à un aveu d'impuissance.
*
* *
A cette dernière conception se rattache une distinction
classique adoptée par un grand nombre d'auteurs. Elle
consiste à séparer le cas où l'omettant est étranger à la
série causale qui a provoqué le résultat, de celui où il a
lui-même mis en mouvement la force nuisible qu'il a omis
d'arrêter. L'exemple du passant qui, voyant une allumette
près de communiquer le feu à des matières inflammables
et à un édifice voisin, passe sans l'éteindre, appartient à la
première catégorie. Si,au contraire,nous supposons unfu-
14 CHAPITRE PREMIER
meur qui jette l'allumette dont il vient de se servir et qui,
en omettant de l'éteindre, provoque Tincendie, nous ren-
trons évidemment dans la seconde. M. Saleilles (1) pré-
cise très heureusement cette différence en distinguant « la
non-intervention en dehors de la sphère d'activité de celui
qui s'est abstenu », de « Tabstention se référant à une cause
matérielle de préjudice qui rentre dans cette sphère ».
Il y a là une opposition facile à laquelle on s est souvent
rattaché pour faire la distinction entre les omissions pu-
nissables et celles qui échappent à la loi pénale.
A première vue, la causalité semble apparaître plus
nette dans le second cas que dans le premier. Ceux qui se
rattachent à cette conception nient, en effet, la causalité
de Tomission, en soi, et estiment qu*ici, c'est le fait anté-
rieur qui est causal par rapport au résultat.
Cette théorie, acceptée puis abandonnée par la doctrine
allemande, ne nous semble pas résister à l'analyse. En
premier lieu, elle aboutit à un résultat choquant, puis-
qu'elle fait remonter la causalité d'un crime à un fait in-
différent, permis ou même commandé. Elle doit en effet
arriver à admettre que dans l'hypothèse, par exemple, de
l'aiguilleur qui omet de faire son service et dont l'absten-
tion entraine une catastrophe, ce qui sera causal, ce sera
non pas cette omission, mais Tacceptation de la fonction.
Au surplus, elle fait sauter un chaînon de la série cau-
sale. Reprenons l'exemple du fumeur. Ce qui est causal
(1) Saleilles, Les accidents du travail et la responsabilité civile, Paris,
Rousseau, 1897, n*» 31 et 32.
PROBLÈME DE LA COMMISSION FAR OMISSION 15
par rapport à Tincendie, dit-on, c'est le fait de jeter Tal-
lumette encore embrasée. — En apparence oui, en réalité
non. Tous les jours, des milliers de fumeurs accomplis-
sent le môme acte, sans qu'il y ait faute de leur part, et
sans que leur allumette risque de communiquer le feu.
C'eét qu'au moment même où l'action dangereuse se
produit, il intervient un élément nouveau destiné à neu-
traliser le danger, à savoir une obligation quasi-con-
tractuelle mise à la charge de Tagent qui doit veiller aux
conséquences de son acte. — Voici donc comment la série
causale s'enchaîne. L'homme jette son allumette et aussi-
tôt de ce fait naît pour lui l'obligation de l'éteindre. 11
manque à ce devoir et cette omission est « cause » de l'in-
cendie. Il n'est donc pas possible d'éliminer l'omission
de la construction de la causalité et dans les deux cas cette
causalité se présente sous le même aspect.
Aussi ne croyons-nous pas qu'il y ait intérêt à distinguer
les deux séries d'hypothèses. Nous estimons en effet, et
nous nous efforcerons de le démontrer plus loin, que l'o-
mission, en soi, peut être causale et que c'est ailleurs que
dans le lien de causalité qu'il faudra chercher le critérium
de punissabilité de la commission par omission.
CHAPITRE II
LA COMMISSION PAR OMISSLOM DANS LA DOCTKINE ALLEMANDE
Dans cette période de fermentation intellectuelle qui
signala en Allemagne les premières années de ce siècle,
une question nouvelle apparut sur le domaine du droit
pénal.
Depuis longtemps, sans doute, lescriminalistes avaient
constaté que la volonté criminelle peut se manifester, et
surtout produire ses effets, aussi bien par un acte négatif
que par un acte positif. Mais, jusque-lù, la question se po-
sait, à propos de chaque crime, de savoir s'il pouvait être
commis par omission. Ce n'est qu'à ce moment que la doc-
trine se préoccupa d'établir une formule précise et géné-
rale de la punissabilité de la commission par omission.
Dans une première période, le problème se présente sous
une forme relativement simple. La question de la causa-
lité de l'omission n'est pas soulevée.
Stûbel et Feuerbach, qui représentent cette première
phase, sont d'accord pour admettre que To mission peut
être causale ou, pour mieux dire, ils n'aperçoivent même
pas que la question soit douteuse.
Bien que partant d'un môme point, leurs théories sont
DOCTRINE ALLEMANDE 17
cependant divergentes. Stubel (1) admet Toxistencc à la
charge de l'individu d'un devoir général d'empêcher les
crimes. Feuerbach (2), au contraire, borne Tobligation
d'agir et par suite le délit d'omission commissive, au cas
où la personne lésée a droit à une manifestation positive
de notre activité, basée sur la loi ou le contrat. Ce qui,
pour lui, constitue la punissabilité de l'omission, c'est
rélément « violation d'un devoir », la « Pflichtwidrig-
keit ».
Cette période constitue ce que l'on peut appeler la/^re-
science allemande. Elle correspond un peu à l'état actuel
de la science française.
Toute violation d'un devoir d'agir, qui a comme consé-
quence un résultat criminel voulu , est considérée comme
criminelle et engage la responsabilité de l'omettant.
Cette proposition apparaît comme naturelle et portant
en elle-même sa justification.
*
Mais une conception nouvelle ne tarde pas à se faire
jour. Elle nait de scrupules doctrinaux et d'une préoccu-
pation métaphysique.
On ne peut pas admettre, remarque-t-on, que quelque
chose naisse de rien. Or l'omission, c'est le néant. Le néant
ne peut pas engendrer une responsabilité. Si donc il est vrai
que l'on puisse « vouloir » et obtenir un résultat criminel,
(1) Veber den Thatbestand der Verbrechen, 1805, Wittenberg, p. 15.
(2) Lehrbuch, p. 24 et 49.
G. — 2
18 CHAPITRE II
aussi bien par une abslontion que par une action, il est
Inégalement certain que Tomission, en elle-même, ne peut
pas être causale, et, dès lors, pour que l'omettant puisse
ôtre puni, il faudra trouver ailleurs le lien de causalité.
A l'inverse, toutes les fois que nous découvrirons cette
causalité, il y aura lieu à châtiment, sans qu'il soit néces-
saire de rechercher si Tacte omis correspondait ou non à
une obligation légale ou contractuelle.
C'est ainsi que se posa, sous sa première forme, un pro-
blème que la science allemande est la seule à avoir aperçu,
mais qui, en revanche, a tenu une place énorme dans ses
discussions, et qui la préoccupe encore à l'heure qu'il est.
On a proposé de ce problème des solutions multiples,
qui peuvent, à des nuances près, se diviser en deux grou-
pes.
Les premières, les plus anciennes en date, correspondent
aux préoccupations que nous venons d'indiquer. Elles ont
comme caractère commun la recherche de la causalité
dans un acte antérieur ou concomitant à Tomission.
Les secondes se rattachent à une orientation toute diffé-
rente ; sous des formes diverses, elles reconnaissent la
causalité de l'omission en soi.
*
C'est Luden qui, le premier, a donné à la question son
caractère doctrinal nouveau et qui a soulevé le problème
de la causalité.
11 distingue Tomission simple punissable en soi, de la
DOCTRINK ALLEMANDE 19
commission par omission, et il donne de la causalité de
celte dernière une explication curieuse (1). « On ne peut
concevoir, dit-il, Thomme comme ne faisant rien. Aussi,
lorsque pouvant dompter les forces naturelles, il les laisse
suivre leur cours, sommes-nous d'abord en présence d'une
omission. Mais à côté de cette omission, il y a également
une action positive, car pendant qu'il omettait Pacte sau-
veur, l'homme doit nécessairement avoir fait quelque
chose d'autre, cela eût-il consisté à regarder ou à s'éloi-
gner. Cet acte positif sera causal par rapport au résultat. »
Krug (2) a spirituellement raillé le déplacement de la
causalité commis par Luden, en faisant observer que dans
le cas d'une mère qui laisse volontairement mourir de
faim son enfant et qui, pendant que celui-ci se débat con-
tre la mort, tricote des bas, il faudrait admettre que c'est
ce dernier fait qui a tué l'enfant.
La théorie de Luden aboutissait à cette conséquence de
ne faire, au point de vue de la responsabilité du résultat,
aucune différence entre l'action et Tomission. Luden a, du
reste, abandonné plus tard ce système, et, dans sa nou-
velle éditiou de 1847 il renonce à formuler une théorie
générale et se borne adonner des règles particulières pour
déterminer, en certains cas, la causalité.
Comme Luden, Krug (3) refuse à l'omission toute signi-
fication causale ; elle ne sera dans un rapport de causalité
(1) Athandlungefif p. 474.
(2) Abhandlungen, Leipzig, 1855, p. 30, 31.
(3) Abhandlungen^ Leipzig, 1855, t. IV, p. 211.
20 CHAPITRE II
avec le résultat, qu'en tant que se rattachant à des actions
positives, à Tégard desquelles ce rapport pourra exister.
Ces actes positifs seront ceux par lesquels Tomettant,
soit par la prise en charge d*un service public, soit par un
engagement privé, exprès ou tacite, se sera obligé aune
activité. 11 cite Thypothése de celui qui, ayant promis à
un ami, médiocre nageur, de laider en cas de fatigue,
omet de le faire et cause ainsi sa mort. L'omission apparaît
dans ce cas comme causale, mais elle ne Test que par son
rapport avec l'acte antérieur. De même encore, la femme
qui fait croire qu'elle va prendre soin d'un malade, empê-
chant ainsi que quelqu'un d'autre ne fasse le nécessaire,
sera meurtrière si, par la suite, elle le laisse intentionnel-
lement mourir. Ici l'acte positif sera l'engagement tacite
pris par elle.
Dans ces divers cas, l'omettant a mis en mouvement,
d'une façon au moins médiate, les forces naturelles qui
ont entraîné la perte du nageur, qui ont provoqué la
mort du malade, en décidant, par sa promesse, le premier
à se mettre à l'eau, et en éloignant les personnes qui au-
raient pu sauver le second. 11 doit donc, d'après les règles
générales de l'imputation, supporter la responsabilité to-
tale de l'effet de ces forces. C'est le dolus subseçuens qui
apparaît.
De ces divers éléments un peu confus, Glaser (i) a bâti
une théorie plus savante. Il estime, lui aussi, que la struc-
ture du délit de commission par omission exige de la part
(1) Abhandlungen aus dem ôsterr. Strafrecht, Vienne, 1858, p. 289.
DOCTRINE ALLEMANDE 21
du commettant une activité positive, cause du résultat.
Son originalité consiste à distinguer deux séries d' « omis-
sivdelicte ».
Dans la première, il suppose Thomme mettant en mou-
vement une force qui, si on ne Tarrête pas, doit produire
nécessairement un résultat déterminé. Ainsi, c'est le con-
ducteur d une voiture qui pousse en avant son attelage et
qui, reconnaissant son ennemi couché sur le chemin,
omet de retenir ses chevaux. Ou bien encore, c'est un
éclusier qui ouvre son écluse et, négligeant de la fermer à
temps, provoque intentionnellement une inondation. —
Dans ces divers cas, l'omission sera l'occasion, et l'acte
antérieur la cause du délit. Ceci semble nous ramener à
la théorie du dolus ^wi^^^w^n^. Mais, pour échapper à ce
reproche, Glaser ajoute que celle-ci suppose une action di-
visée en deux parties, tandis que, dans sa construction,
l'action et l'omission sont soudées, de façon à former un
tout indivisible et dont la criminalité doit être envisagée
en bloc.
La seconde catégorie se rapporte à des résultats pro-
duits sans aucune intervention de la part de l'omettant, et
qu'il a seulement omis d'empêcher. Il n'y aura également
punissabilité dans ce cas que lorsque l'omission aura été
précédée d'un acte positif causal. Cet acte pourra être cons-
titué par la prise en charge expresse ou tacite de l'obliga-
tion d'empêcher l'événement nuisible. L'attitude d'un
homme peut faire naître chez les autres, dit-il, la convic-
tion qu'il interviendra pour détourner un danger, et dès
22 CHAPITRE II
lors, déterminer les uns à s'y exposer, les autres à ne point
le détourner eux-mômes. On peut citer à ce propos les
exemples de la garde qui omet de surveiller l'enfant, du
surveillant de prison qui ne nourrit pas son prisonnier, du
gardien d'un pont détérioré, qui n'avertit pas ceux qui
arrivent. Dans ces divers cas, la garde, le surveillant, le
gardien ont a positivement » amené le résultat en détour-
nant les autres de la pensée de l'empêcher.
De môme que Glaser avait perfectionné le système de
Krug, Merkel (1) reprend et précise sur certains points ce-
lui de Glaser. A cette orientation de la doctrine se ratta-
che encore von Bar (2), bien qu'il ne présente nettement
aucun principe sur la causalité. Parfois il semble consi-
dérer l'omission comme causale, en tant qu'elle a pour
effet de troubler le cours des manifestations de la vie hu-
maine, ce qu'il appelle -.< la règle de vie ». Parfois même,
et notamment dans sa théorie de la faute (3), il paraît ad-
mettre la conception du devoir créant la causalité. Cepen-
dant, d'une façon plus générale, il voit comme Glaser et
Merkel, dans l'action antérieure, la cause du résultat pro-
duit.
Geyer (4) et Aldosser placent leur construction dans le
domaine psychique. Il y aura causalité, d'après eux, dans
(1) Merkel, Kriminalistische Abhandlungen, Leipzig, 1867, t. 1, p. 79.
(2) Von Bar, Die Lehre vondemCausalzusammenhang, Leipzig, 1871,
p. 96.
(3) Von Bar, Lehre von der Culpa und dem Catisalzusammenhang ^
dans la Zeitschrift de Grunhut, 1877, p. 49.
(4) Geycr ^ Grimdriss zû Vorlcmnyen, Munich, 188^, p. 84.
nOCTRINK ALLEMANDE 23
Teffet psychique produit sur des ôtres vivants, « induits par
l'omettant à une attitude, cause du résultat. » Cette omis-
sion sera donc « concluante » (concludent), lorsque la vic-
time aura compté ou pu compter sur l'action contraire.
Ceci se présentera spécialement lorsqu'il y aura à la
charge de l'omettant un devoir juridique d'agir. Ainsi
dans rhypothèsedu nageur inexpérimenté qui s'abandonne
au courant, parce qu'il compte ou peut compter sur le se-
cours d'un ami présent et plus habile, qui le laisse volon-
tairement périr par son abstention, ce qui sera causal, ce
sera l'effet psychique produit sur la victime par l'attitude
rassurante de l'omettant
Le reproche principal que l'on peut faire à cette théorie
est de n'expliquer qu'une partie des délits de commission
par omission, et de laisser en dehors tous ceux où manque
l'élément d'impression psychique produite sur un ôlre vi-
vant : par exemple, le cas de quelqu'un qui, marchant sur
une allumette enfouie dans la paille, l'enflamme et omet
volontairement de l'éteindre.
Pour combler cette lacune, Aldosser(l), qui, du reste,
n'a fait qu'adopter les idées de Geyer, admet à côté de
l'omission « concludent » de celui-ci, une responsabilité
pour le cas d'attitude personnellement passive de l'omet-
tant. 7
Une mention spéciale est due à Binding (2) qui se rat-
(1) Aldosser, Inwiefem kann eine Begehung durck Unterlassvng bes-
stehen'î Munich.
(2) Binding, Normen, p. 48 et 49 ; p. 224, 259, 266.
24 niAPiTRE 11
tache encon* au sy«tt*oie de Taction antérieure, bien qu'il
semble parfois essayer de s'évader de celle théorie. 11 divi-
se, lui au>««iy Ir^s commissions par omission en deux grou-
pes. Il range dans le premier les omissions commises par
ceux qu^un devoir profe>?ionnel oblige à veiller contre cer-
tains dan<;ers : garde-barrière, aiguilleur, garde-malade,
etc. Ici, l'oniellant par la fonclicm qu*il a assumée tenait
en équilibre le»^ condilions p4»sitives anlérieures, que son
omission a de nouveau rendues aclives.
Pour Binding il exisle, en effel, à propos de lout résul-
tat un ensemble de conditions, les unes positives c'est-à-
dire favorisant le résultat, les autres négatives, c'est-à-dire
Técartant. Tant qu'elles se tiennent en équilibre, le ré-
sultat ne se produit pas.
Voici donc comment va se faire la construction de la
causalité, dans l'exemple classique du garde-barrière qui,
par son omission consciente, provoque une catastrophe.
Binding divise le processus causal en deux parties : Premier
moment : Le garde-barriére s'engage à assurer le service de
lavoic, et, ce faisant, il pose une « condition négative » pour
l'arrivée de Taccident de chemin de fer. Mais en môme
temps, et par ce môme fait, il empêche que Ton ne choi-
sisse un autre garde-barrière ou que le mécanicien ralen-
tisse sa machine au passage h niveau, et pose ainsi une
« condition positive » par rapport au résultat dangereux.
Tantqu'ilremplitsa fonction, l'équilibre se maintient, l'acci-
dent n'arrive pas. Deuxième moment : il omet de le faire,
et supprime, dès lors, les conditions négatives ; lescondi-
DOCTRINE ALLEMANDE 25
tions positives posées par lui-même reprennent leur effet.
L'accident se produit. — C'est toujours, déguisée sous une
construction compliquée, la causalité d'un fait antérieur.
Passons maintenant à Tétude du deuxième groupe. Ici,
il s'agit d'une activité inoffensive en soi, ou, en tous cas,
non punissable, qui a donné lieu à la naissance d'un dan-
ger que l'omettant a négligé d'écarter. Nous rencontrons
l'exemple classique du cocher qui, allant à une allure per-
mise, et sans intention mauvaise, aperçoit soudain son
ennemi couché sur la route et dans une position telle que
ses chevaux l'écraseront s'il ne les retient pas ; ou bien en-
core le détenteur d'un poison jusque-là bien gardé et qui
le voit entre les mains d'un enfant dont, pour une raison
quelconque, parce qu'il doit en hériter par exemple, il
souhaite la mort. L'omission de l'acte sauveur sera cau-
sale parce que, dit Binding, « on ne cause qu'à compter
du moment où l'on ne peut plus arrêter, ou bien où Ton
est décidé à ne pas arrêter les conditions antérieures, que
Ton à mises en mouvement ou que l'on dirige ».
En somme, nous voyons encore apparaître ici la causa-
lité de l'action antérieure.
Cette théorie de Binding se trouve reproduite, à quel-
ques détails près, par Haelschner (1). Celui-ci se distin-
gue cependant de Binding en ce qu'il ne considère pas
comme importante la distinction entre les deux séries de
délits, admise par son prédécesseur. Il estime que, dans
(1) Haelschner, Bas gemeine deutsehe Strafrecht, Bonn, 1881, t. I,
p. 233.
26 <:hapitre h
l'une commo dans l*autre, l'omettant n'est responsable
du ri'sultat que parce que, en mettant de côt(^ I obstacle
qui Tempôcbail, il transforme une action anti^rieuro in-
différente, en activité causale.
Cette théorie a été défendue aussi par le célèbre crimi-
naliste russe Tapanzew et par un de ses compatriotes,
Sergejewski (1).
Les divers systèmes qui précèdent ont, en somme, mal-
gré les points de vue variés et auxquels les auteurs se
placent, un caractère commun. Ils dénient àlomissioncn
elle-même tout caractère causal, mais cette omission
pourra être précédée d'actes se rattachant par un lien
de causalité au résultat antijuridique et ce n'est que dans
cette hypothèse que l'omettant sera pénalement responsa-
ble du résultat.
On peut faire à tous ces systèmes une double objec-
tion.
C'est que, d'abord, ils font remonter la source de la cri-
minalité d'un résultat jusqu'à un moment où la pensée
criminelle n'existe pas encore et jusqu'à un fait qui, en
lui-môme, était parfaitement innocent et peut môme ôtre
louable. Ainsi, pour reprendre l'exemple classique du
garde-malade qui, par une négligence voulue, entraîne
(1) Il faut dire en efTet, pour être exact, que certains criminalistes
russes, marchant sur les traces de la doctrine allemande, ont fait place
dans leurs traites à la question qui nous préoccupe.
DOCTRINE ALLEMANDE 27
intentionnellement la mori de son ennemi, ce qui serait
causal, par rapport au crime, ce serait non pas l'omission,
mais le fait de s'être engagé à veiller sur le malade. Ceci
est évidemment inadmissible. Mais, à part cette première
critique théorique, tous ces systèmes sont empiriquement
faux, car les résultats auxquels ils arrivent ne concordent
pas avec les données de la loi positive, et ils n'expliquent
pas tous les cas de commission par omission qui sont et
doivent être punis.
*
L'insuccès des premiers systèmes détermina la science
allemande à orienter ses recherches dans une autre direc-
tion, qui devait, après une nouvelle étape, la conduire h
la reconnaissance de la causalité de Tomission.
Elle n'y arriva point cependant du premier coup, mais
après l'essai de plusieurs systèmes intermédiaires.
C'est Buri (1) qui le premier ouvrit la voie aux doctri-
nes nouvelles. Il présenta, pour la première fois, sa théo-
rie en 1869, mais vers 1880 il lui lit subir d'importantes
modifications.
Buri se rattache encore à la conception ancienne, en ce
sens qu'il refuse à l'omission elle-même toute causalité,
mais il s'en distingue en ce que, tandis que Binding et les
autres faisaient remonter cette causalité à une action an-
(1) Buri, Gerichtsaal, 1869, p. 189 ; Ueber Causalitœtund deren Ver-
antwortung, Leipzig, 1873, p. 96; Gerichtsaal, 1875, p. 251 ; 1876,
p. 170.
28 CHAPITRE II
térieure, il transforme l'omission en une action positive
cachée sous une inactivité apparente.
Dans son système, tel qu*il l'exposait en 1869, il consi-
dère comme causale non seulement l'activité qui pousse
directement au résultat, mais encore celle qui y conduit
indirectement en écartant de la route les obstacles qui s^op-
posent à son arrivée. Sera donc causale Tinfluence exercée
sur la volonté de celui qui eût dû empêcher ce résultat.
Ainsi est responsable celui qui par corruption détourne
un gendarme d'empêcher un. crime. Et cela est vrai, que
Ton influence une volonté étrangère, ou que Ton agisse
sur sa propre volonté, en ne laissant pas nattre en soi ou
en abandonnant Tintention de détourner : pour reprendre
encore lexemple du garde-barrière, il considère qu'il y a
en lui deux forces : lune, obéissant à llmpulsion du de-
voir, si rien ne Tarréte, va accomplir l'acte sauveur et
fermer la barrière ; mais la volonté criminelle la sup-
prime, la barrière est laissée ouverte et un accident se
produit. Par cette activité, dit fiuri, la volonté humaine
est devenue causale. C'est, on le voit, l'adaptation à une
question de psychologie pénale du principe connu de la
dualité de l'homme.
Il y a là évidemment une tentative méritoire pour échap-
per aux anciennes idées, mais au fond cette suppression
par la volonté criminelle de la force secourable, rappelle
quelque peu la violation de la « règle de vie » de von Bar
et la rupture d'équilibre entre les conditions positives et
les conditions négatives de Binding.
DOCTRINE ALLEMANDE 29
On peut faire une seconde objection au système. C'est
qu'il conduit à admettre que chacun doit répondre du ré-
sultat qu'il aurait détourné, s'il avait voulu. Mais Buri
ajoute que « Ton irait trop loin, si Ton voulait transporter
cette proposition du terrain de l'éthique dans celui du
droit pénal ».
Une raison de convenance le conduit donc à restreindre
la punissabilité de l'omission au cas où il existe un devoir
de détourner le résultat délictueux, basé sur un fait an-
térieur.
Buri a, du reste, été amené à préciser dans le second
état de sa doctrine ce critérium de délimitation, a Celui,
dit-il, qui ne remplit pas le devoir légal, qui lui incombe,
d'empêcher un résultat menaçant, doit être considéré
comme ayant causé ce résultat et en est pénalemcnt res-
ponsable. On est ramené ainsi, continue-t-il, à l'opinion
de Feuerbach, encore aujourd'hui décisive dans la prati-
que, et k laquelle on ne peut faire qu'un reproche, celui
de ne pas avoir déterminé l'élément causal de l'omis-
sion (1). »
il faut également rattacher à ces doctrines intermédiai-
res Janka (2) et Liszt (3). Ce dernier fait de la causalité
de l'omission une construction curieuse. Soient, dit-il,
a, a', a", a'" les diverses causes d'un résultat B. J'ai a -[- a'
+ a" + a"' = B. Si la condition a'" vient à manquer, le
(1) Gerichtsaaly 1878, Beilagehefl, p. 111.
(2) Dos œsterreichische Strafrecht. Prague, 1884, p. 72.
(3) Liszt, Lehrhuchy 2« éd. Berlin, 1884, p. 124.
30 CHAPITRE 11
résultat sora autre, G par exemple. J'aurai donc a + a* +
a" = C et non pas a*** = G, ce qui revient à dire que ce
qui est causal, ce n'est pas romission en soi, mais seule-
mont les conditions qui continuent à agir. « G'est ainsi,
dit-il, que si le bon nageur ne sauve pas son ami moins
habile, celui-ci ne meurt pas de la décision criminelle de
lautre : c'est la pesanteur et non la main retirée de l'ami,
qui Ta fait s'enfoncer. »
11 semble ainsi refuser toute causalité à l'omission. Ge-
pendant, dans sa troisième édition, celle de 1886, il modifie
son opinion sur ce point et ajoute que « cet exemple ne
change pas la signification causale de l'omission, la causa-
lité n'étant pas une force, mais une forme spéciale de
notre connaissance ». 11 admet, au surplus, l'existence
d'un devoir de droit qui ne crée pas la causalité, mais sert
à délimiter les omissions punissables et celles qui choquent
seulement la morale. A vrai dire, Liszt ne présente donc
pas un système bien précis et, en somme, il en revient à
Feuerbach, sans indiquer le critérium théorique que Ton
reproche à cet auteur de n'avoir pas donné.
Il faut noter aussi, à propos de ces doctrines intermé-
diaires, l'essai de quelques auteurs qui, renonçant à dé-
couvrir le lien de causalité dans le cas d'omission, se
sont eiïorcés de fonder la responsabilité en dehors de tout
lien causal. Ge sont Hertz (1), Lœning (2) et Hrehoro-
(1) Das Unrecht und die allyeineinen Regeln des Strafrechts, Ham-
bourg, 1880, t. I, p. 196.
(2) Grundriss lu Vorlesungen ûber deutsches Strafrecht, Francfort,
1887, p. 16, 17.
DOCTRINE ALLEMANDE 31
wickz(l). Leur théorie, sans fondement scientifique, n'a
été défendue par personne et ne vaut que d'être citée.
*
Nous arrivons enfin au dernier état de la science alle-
mande, avec une conception nouvelle qui, à rencontre des
précédentes théories, reconnaît à l'omission en soi le carac-
tère de causalité.
Le nombre des auteurs, qui ont adopté ce point de vue,
est considérable et va toujours croissant. Nous nousconten-
terons de citer von Wœchter (2), Meyer (3), Schwarze(4),
Schutze(S), Ofner (6), qui reconnaissent le principe, mais
sans en fournir une véritable théorie. Haupt (7) s'appuie
sur ce que partout où un homme a la puissance d'intervenir
(eingreifen), et où son attitude peut modifier le résultat,
son inactivité sera un élément (Bestimmung) de la causa-
lité, quant à ce résultat.
Cette orientation nouvelle était, quant à son point de
départ, philosophique. Elle se fonde sur une conception
de la causalité humaine indiquée dans Locke, et qui se
retrouve dans Schopenhauer.
(1) Grundfragen des Strafrechts^ Dorpat, 1880.
(2) Deutsches Strafrecht, Leipzig, 1884, p. 195.
(3) Lehrbuch des Strafrechls, Erlangen, 1886, p. 241 .
(4) Coinmentar zum Strafgesetzbuch^ 1884, p. 43.
(5) Lehrbuch, 2« édit., Leipzig, 1874, p. 102.
(6) Beitrag zur exacten Rechtswissenschaflf Vienne, 1883, p. 17.
(7) Zur Lehre von den Unterlassungsdelicten dans la Zeitschrift de
Liszt, t. II, p. 533.
32 CHAPITRE II
Ce sont surtout les philosophes Sigwart et Windclband
qui ont poussé la question assez loin pour permettre de
construire la théorie de l'omission causale.
Sigwart (1) distingue la causalité purement mécanique
de la causalité dans laquelle intervient la volonté hu-
maine. L'actionde l'homme, dit-il, est toujours tendue vers
des buis. Il utilise les forces naturelles, il les commande par
le seul fait quMl compte sur elles, et ainsi il agit aussi
bien par Tomission que par Faction.
Mais à côté des « buts de l'individu ^ se trouvent des
« buts de droit » qui pourront ôtro facilités ou déjoués,
tantôt par une action jïositive, tantôt par une action néga-
tive. L'omission sera juridiquement causale quand l'omet-
tant avait la possibilité ou le devoir d'intervenir dans
leur réalisation.
Windelband admet, lui aussi, que c'est le but qui donne
h la causalité humaine un aspect différent de la causalité
mécanique.
Rohland (2) est parti de ces considérations philosophi-
ques pour soutenir la causalité de l'omission en soi, qui
seule peut conduire à la vérité. « Ainsi, dit-il, la théorie
de la commission par omission doit revenir à son point de
départ et prendre, à l'égard de ce problème, la position
qu'elle a occupée jusqu'à Feuerbach. Mais le cycle, qu'elle
a ainsi parcouru, représente une période de développe-
Il) Sigwarl, Der Begriff des Wollens, Tûbingue, 1870, p. 33.
(2) Rohland, Die GefahT im Slrafreckt, Dorpat, 1886, Die Begekung
durch Vnterlassung, 1887.
i
DOCTRINE ALLEMANDE 33
ments nécessaires . Silaseience pénale d'aujourd'hui se
décide à rendre à Tomission la place qui lui appartient
dans la causalité, elle le fait non pas sous Tinfluence d'une
manière de voir instinctive et qui ne connaît pas le doute,
mais avec une conviction solide et épurée dans la discus-
sion. » C'est donc encore le retour à Feuerbach, c'est-à-
dire au point de départ !
Nous allons voir que Landsberg {i ) aboutit au même
résultat négatif. Celui-ci énonce cette proposition simple
que « l'omission en soi est cause du résultat, simplement
parce que celui-ci ne se serait pas produit sans elle ». Il
rappelle T hypothèse si souvent citée de Berger, qui sup-
pose un être idés^l, examinant avec une attention infinie
et une infinie puissance d'observation les événements, et
démêlant les causes ou plutôt les séries causales dont la
combinaison a produit chacun d'eux. L'omission apparaî-
tra à ses yeux comme n'étant que le résultat, seul saisis-
sable pour nous, des mille événements antérieurs qui ont
déterminé l'attitude de l'omettant. On comprend donc, sous
la causalité de l'omission, la causalité de tous ces événe*
mentsqui individuellement se soustraient à notre contrôle*
Sous ces réserves, l'omission est donc pour lui causale.
Il en conclut que, si elle a entraîné des conséquences
contraires au droit pénal, elle sera punissable lorsque l'o-
mettant aura eu ou aurait pu avoir, avec une attention
suffisante, conscience du résultat.
(1) Landsberg, Die sog. Commissivdelicte durch Unterlassung im
deulschen Strafrecht^ Fribourg, 1890.
G. -3
34 CHAPITRE II
Mais, s*apercevant des conséquences extrêmes d'une
semblable proposition qui ferait tomber sous le coup de la
loi pénale des actes qui n'y tombent pas, et que le bon
sens nous dit ne pas pouvoir y tomber, il en restreint
aussitôt la portée, en ajoutant que TÉtat pourra « par
d'autres motifs, repousser une aussi grande extension de
la punissabilité et établir une mesure différente d'appré-
ciation, suivant que la production responsable d'événe
ments résulte d'une action ou d'une omission ».
Et, poursuivant ses recherches à travers la loi alle-
mande, il est forcé de conclure que « le Code prussien
n'entend punir la commission par omission, qu'en tant
qu'il y avait un devoir spécial d'action ».
La jurisprudence ne s^est pas non plus laissé influencer
par ces tentatives doctrinales. Elle peut se résumer dans
deux arrêts du Reichsgericht des 14 février 1884 et 21 mars
1888 qui, tous deux, ne reconnaissent d'autre base à la
punissabilité de lomission que Texistence d'un devoir
contractuel ou légal (1).
Landsberg est donc forcé de constater, avec quelque
mélancolie, que le législateur n*a fait que consacrer la
vieille théorie de Feuerbach. Il l'explique par des consi-
dérations historiques tirées des doctrines philosophiques
et politiques en honneur au moment où le Gode allemand
a été formulé.
(1) Les espèces visées par ces arrêts ne constituent pas, à vrai dire,
des crimes de commission par omission, l'intention dolosive n'ayant
pas été retenue par la Cour : ils n'ont d'intérêt qu'au point de vue de la
détermination du devoir d'intervention de Thomme.
DOCTRINE ALLEMANDE 35
Mais, tout en critiquant le critérium de Feuerbach rela-
tivement à la distinction entre les commissions par omis-
sion contraires à la loi et celles qui sont simplement con-
traires à la morale, il n'en propose aucun autre pour le
remplacer.
C'est du reste le reproche commun que l'on peut
adresser à tous ces derniers auteurs. Sous Tinfluence du
courant philosophique que nous avons signalé, ils en sont
venus à une conception de la causalité, qui est la nôtre,
et que nous défendrons nous-mème, bien que par d'autres
raisons, dans un des chapitres qui suivent. Mais cette
reconnaissance pure et simple de la causalité de l'omis-
sion les a nécessairement conduits à cette conséquence
que, toutes les fois que l'omission aura eu un résultat
contraire aux lois pénales et que l'omettant aura agi avec
une volonté criminelle consciente, elle sera punissable.
Gomme il est de toute évidence, qu'un pareil résultat, qui
créerait pour Thomme des devoirs d'agir illimités, ne
peut être accepté par personne, ils ajoutent aussitôt que
le législateur verra, au surplus, dans quelle mesure il
faudra étendre ou restreindre l'application pratique de ce
principe, en délimitant les omissions punissables et celles
qui ne le seront pas. Ceci est vrai, aussi bien pour les
auteurs de la période que nous avons appelée inter-
médiaire, tels que Buri par exemple, que pour les der-
niers dont nous avons parlé : Sîgwart,Rohland, Landsberg,
etc. Or nous avons déjà fait remarquer plus haut que
Futilité du problème étudié consistant précisément à
36 CHAPITRE 11
rechercher un critérium théorique qui permet de faire la
classification des Commissivdelicte sanctionnés ou non par
la loi, s*en remettre à cette loi du soin de faire cette dis-
tinction, c'est répondre à la question par la question.
Nous sommes donc conduits à faire celte constatation
un peu attristante que tout TefTort du second groupe des
auteurs allemands n'a consisté qu'à démontrer Finanité
du travail des premiers et à ramener la question au point
précis où elle était au moment où Feuerbach, sans son-
ger à la question de la causalité, déclarait que la loi, se
constituant sa raison à elle-môme, la commission par omis-
sion ne serait punissable que lorsque cette omission en soi
se rapporterait à la violation d'un devoir légal.
Tout au plus, est-il resté de cet effort l'adoption par la
science pénale de la distinction déjà admise par la philo-
sophie entre la causalité mécanique et la causalité hu-
maine, et par voie de conséquence, la reconnaissance de
la causalité de l'omission en soi.
11 en est resté surtout cette inquiétude que laisse à l'es-
prit la position d'un problème insoluble.
Faut-il donc proclamer sur ce point la faillite de la
science pénale ? Nous ne voulons pas nous y résigner en-
core.
L'échec de la doctrine allemande peut s'expliquer peut-
être par la façon dont la discussion a été conduite. Les
critiques que l'on peut respectueusement adresser aux
DOCTRINE ALLEMANDE 37
maîtres éminents dont nous venons d'esquisser les théo-
ries, sont en somme celles que méritent en général les
méthodes et la science allemande.
Les savants allemands sont d'incomparables ouvriers,
mais de médiocres architectes. Ils excellent, en général,
dans les études oîi il ne faut qu'un labeur patient, une
érudition profonde, une analyse scrupuleuse. Lorsqu'ils
s'emparent d'une question, ils la creusent, la fouillent, la
retournent avec acharnement, mais l'attention trop grande
qu'ils apportent aux détails les empêche de saisir la ques-
tion dans son ensemble et d'en apercevoir la solution.
Goethe qui, lui, possédait à un si haut degré, ces quali-
tés de généralisation qui manquent à ses compatriotes,
leur reprochait, dans une lettre à Schiller, de « ressembler
à ces avares qui amassent sans cesse des richesses dont ils
ne sauraient pas se servir *>.
Certes, leur labeur scientifique n'est pas infécond, mais
leurs procédés méritent tous les reproches que nous avons
adressés plus haut à l'emploi erroné de la méthode induc«
tive et à la spécialisation poussée à l'extrême dans les étu-
des scientifiques .
Nous les avons vus à l'œuvre dans l'étude de la commis-
sion par omission. Ils ont soigneusement délimité le ter-
rain, et, les limites une fois posées, ils se sont interdit de
regarder ni plus haut ni plus loin. Mais, en revanche, ils ont
fouillé avec acharnement le champ dans lequel ils s'étaient
renfermés ; ils ont passé au crible toutes les hypothèses,
les ont décomposées et analysées et de ce travail a surgi
la question de la causalité de l'omission.
38 CHAPITRE U
Tout rintérét du d»'4)at I(>ur a paru se concentrer sur ce
point et ils n*ont pas hé>ité à en faire dépendre la ques-
tion de la piinis>abilité de la commission par omission.
Celte faron d'enviïB^er la question suf6t, ce nous sem-
ble, pour justifier le reproche que nous avons adressé à
leur méthode et expliquer l'impuissance de leurs efforts.
Comment ne pa> voir, en effet, et par a priori^ qu'il y a
quelque chose de choquant à admettre que de la solution
d'une subtile question d'école puisse dépendre celle du re-
doutable problème que nous étudions?
N*y a-t-il pas là une flagrante disproportion qui eût dû
suffire pour mettre en garde la doctrine allemande? —
Quoi ! Suivant que Ton décidera que Tomission est ou n'est
pas causale, faudra-t il changer l'orientation de la cons-
cience, la notion du devoir, le sens et la portée de nos
Codes ?
Les principes du droit pénal doivent être simples. Leur
raison d'ôtre, leur champ d'action doivent apparaître avec
une évidence et une netteté qui les rendent accessibles
aux esprits les moins éclairés et ne laissent pas de place
au doute.
Comment admettre un seul instant que Ton doive faire
dépendre la condamnation ou l'absolution d'un accusé d'un
obscur problème de métaphysique ou de psychologie que
cinquante volumes et l'effort de vingt écrivains n'ont
réussi qu'à compliquer?
L'œuvre de la doctrine allemande devait donc aboutir à
une faillite scientifique.
DOCTRINE ALLEMANDE 39
Pour réussir, il eût fallu, au lieu de s'enfermer dans la
question elle-même, en sortir, Tétudier de plus haut et
chercher à la résoudre par Tapplication des principes gé-
néraux en matière pénale. Et cela môme n'eût pas été suf-
fisant. La question de la punissabilité de la commission
par omission déborde en effet le droit pénal. Elle est inti-
mement liée à ridée que nous pouvons avoir de la nature
de rhomme et de son rôle dans la société.
Nous devrons du reste revenir longuement sur cette
question et le meilleur moyen de prouver l'exactitude de
nos critiques sera de faire, nous-mêmes, sur ce point ce que
nous reprochons aux autres de n'avoir point fait.
CHAPITRE III
HISTOIRE DOCTRINALE DU PROBLÈME DE LA COVMISSION
PAR OMISSION.
Ce n*cst pas ce qu*il y a de moins curieux dans notre
sujet, de remarquer que, tandis que la science allemande
s'est passionnément attachée à Tétude de notre problème,
qu'elle Ta considéré comme une des questions les plus
ardues du droit pénal, les sciences française, anglaise et
italienne paraissent Tavoir ignoré, ou tout au moins ne
pas avoir aperçu les difficultés qu'il présente relativement
à la causalité.
Les criminalistes de toutes les époques semblent avoir
été plus préoccupés de résoudre chaque hypothèse en
s*inspirant des circonstances, que de présenter une for-
mule générale.
En droit romain, un texte de Paul (loi 109, D. de Reg,
jur,) peut prêter à certaines controverses. Nulltim crimen
patiiuris quinonprohibet^ cumprohibere non poiest. On
serait tenté d'en tirer un argument a contrano et d'en
conclure que celui qui, pouvant empêcher un crime, ne Ta
pas fait, sera considéré comme responsable^ ce qui revien-
drait à dire, qu'au moins dans ce cas spécial, les Romains
HISTOIRE DOCTRINALE 41
punissaient la commission par omission. Mais cette loi
étant tirée d'un écrit dans lequel le jurisconsulte examine
la responsabilité du père et du maître, quant aux délits
commis par l'enfant ou Tesclave, on ne peut la considérer
comme concluante.
En dehors de ce texte, le droit romain punissait les
omissions dans les quatre cas suivants : L'esclave qui ne
défend pas son maître attaqué, le soldat qui ne va pas au
secours de son capitaine aux prises avec Tennemi, le
mari qui souffre la prostitution de sa femme, le frère qui
ne révèle pas les embûches qu'il sait que son frère tend à
leur père commun.
Il existe également des textes qui punissent le juge qui
refuse de rendre la justice plus sévèrement que celui qui
juge mal. Mais la matière est trop spéciale pour que la
disposition puisse être étendue.
On peut aussi citer un épigrammc de Martial (L. 2, Ep.
34) où il déclare qu^une femme qui a empoisonné ses
enfants n'est pas plus coupable que celle qui les laisse
mourir de faim . Mais on doit voir là plutôt une affirmation
de morale ou de littérature qu'un principe juridique.
« «
Platon (Lois, Livre IX) considérait l'omission comme
plus grave que la commission. « Si quelqu'un a commis
un vol, il devra simplement rendre le double. L'homme
libre qui, connaissant un vol ne la pas dénoncé, est infâme
et l'esclave sera puni de mort. » De même celui qui n'a
42 CHAPITRE 111
pas révélé un nieurtn» sera puni plus sévèrement que celui
qui l'aura commis. Platon, du reste, s*était inspiré du
droit égyptien, qui considérait comme assassin et punissait
comme tel, celui qui, pouvant sauver un homme attaqué,
ne le faisait pas.
» •
Les auteurs chrétiens avaient adopté cette cimception.
« Qui succurrere perituro potest. dit Lactance, si non
succurrerit, occidit » {Institut, divinœ, lib. 6, cap. 2).
Saint Augustin (Livre 15 contre Faustus) reproduit pres-
que exactement cette proposition : « Si tu rencontres un
malheureux exposé à la mort, et si tu ne le secours pas,
tu es déjà homicide. »
Mais, même parmi les théologiens, cette opinion n'a
pas prévalu. Saint Thomas, constatant que l'omission est
la négation de Tacte de vertu, tandis que la transgression
en est le contraire, reconnaît que celle-ci est plus grave
que celle-là.
Julius Clarus, dans ses Sententiœ reprend la même dis-
tinction. Mais, posant comme règle la formule : a Jure ci*
vili^ nemo tenetur obviare delicto nec malefactorem indi-
care », il restreint le devoir d'intervention à certains cas
exceptionnels.
Farinaccius {Opéra criminalia^ t. 1) étudie longuement
la question. Sans chercher à en donner une solution théo-
rique et examinant spécialement les cas de non-révélation
de crimes, il passe en revue une longue série d'hypothè-
ses pour chacune desquelles il reconnaît la criminalité de
HISTOIRE DOCTRINALE 43
romission. Ceux qui ont connaissance d'un crime do lèse-
majesté (quest. 58) ; la femme qui sait qu'on doit assas-
siner son mari (quesk 91) ; le serviteur qui sait qu'on doit
assassiner son maître ; les sujets ou vassaux qui laissent
tuer leur seigneur, sont considér(^s comme complices, s'ils
ne révèlent ou n'empêchent le crime projeté. 11 en sera de
môme lorsque la personne qui laisse le crime se commettre
avait la charge et le pouvoir de l'empêcher (quest. 134).
Farinaccius vamême plus loin, puisqu'il punit le parent
ou l'ami qui voit attaquer son parent ou son ami en sa
présence, et qui ne le défend pas, lorsqu'il pourrait lo
faire sans danger pour lui-même.
Tiraqueau (1) discute la question au point de vue théo
rique, avec quelque ampleur, et, après avoir examiné tous
les arguments que l'on peut invoquer pour soutenir que
les délits de commission doivent être punis aussi sévère-
ment que les délits d'omission, il conclut en adoptant l'opi-
nion contraire.
Muyart de Vouglans [Institutes, partie I, ch. II) déclare
que le consentement au crime peut se présenter sous cinq
formes, parmi lesquelles l'approbation expresse ou tacite.
Dans les cas d'approbation tacite il range le crime que l'on
commet in omitiendo, c'est-à-dire en n'empêchant pas
celui qu'on aurait pu empêcher. Mais il ajoute que cette
maxime ne s'applique chez nous que lorsqu'il s'agit d'un
crime atroce, tel que celui de lèse-majesté, ou lorsque les
(1) Tractatus varii, Lyon, 1615. Depœnis temperandis.
44 CHAPITRE III
personnes qui n'empêchent pas le crime étaient tenues de
le faire par les devoirs de leur état. Ainsi les pères, maî-
tres, magistrats et même les maris, et il cite à ce sujet
l'article 612 de la Coutume de la Bretagne qui déclare les
maris responsables des fautes de leurs femmes. Au sur-
plus, il ajoute que les peines prononcées contre les omet-
tants sont moins graves que celles prononcées contre les
auteurs mêmes du crime, en vertu de la maxime : Gravior
semper reputatur culpa in omitlendo quant in omiUendo.
Jousse {Traité de la justice criminelle) ne fait que repro-
duire cette distinction, et quant au détail, il cite des exem-
ples empruntés à Farinaccius.
Citons encore, dans le même ordre d'idées, l'ordonnance
de 1670 et Tédit de 1679 sur les duels. L'ordonnance
déclare qu'en cas de crime emportant la peine de mort,
« ceux qui étaient présents à ce crime ne seront déchargés,
que s'ils obtiennent des lettres de pardon ». L'édit sur les
duels punit ceux qui, présents au combat, ne l'ont pas
empêché.
En somme les préoccupations des jurisconsultes de l'an-
cien droit se sont surtout tournées vers les omissions de
révélation ou d'empêchement de crimes.
Ceci s'explique, étant donné l'époque troublée où ils
vivaient et l'insuffisance des moyens de police permettant
d'empêcher les crimes ou d'en découvrir les auteurs. Nous
nous étonnons même que les cas où l'intervention était
obligatoire, n'aient pas été plus fréquents, et ce respect
de la liberté humaine nous parait digne de remarque. Sous
HISTOIRE DOCTRINALE 45
une monarchie absolue, qui n'est pas tendre pour les ac-
cusés, alors que les crimes se multiplient d'une façon
effroyable, que les pouvoirs publics débordés sont im-
puissants à en endiguer le flot toujours croissant, Tautorité
royale devait être fortement tentée de transformer d'une
façon générale les individus en auxiliaires de la justice
pour la prévention ou la recherche des délits, de proclamer
le devoir d'assistance légale de l'homme à l'homme et de
faire à toute personne une loi de l'empêchement ou de la
dénonciation du crime. Si cela n^a pas été fait, c'est qu'il
faut reconnaître comme existant déjà dans l'àme française
ce sentiment d'indépendance de l'homme à l'égard de
l'homme, dont plus tard nous nous efforcerons de dégager
l'origine, lajustifîcation et les conséquences.
Nous voyons môme, à l'occasion de ces exceptions, ap
paraître ici en germe la théorie du devoir légal d'empô-
cher un crime, qui existe d'une façon absolue, à l'égard de
tous les citoyens, quand il s'agit du* crime de lèse-majesté,
et d'une façon relative, à l'égard des personnes qui ont le
devoir et le pouvoir de l'empêcher, soit d'après la loi
positive, comme les magistrats, soit d'après la loi natu-
relle, comme le fils, la femme, le vassal, ou même, s'il
faut admettre l'opinion de Farinaccius, le parent ou l'ami.
En réalité, bien que dans cette période on ne se soit
jamais préoccupé de poser une formule, nous pouvons
presque dégager inductivement celle-ci : « L'omission
sera punissable quand le fait omis était commandé par la
loi ».
46 CHAPITRE m
C'est, en somme, la théorie de Feuerbach, point de dé
part et point d'arrivée du cycle doctrinal allemand.
« «
C'est aussi la théorie de la science moderne française.
Nous disons théorie, le mot est peut-être ambitieux, car
les jurisconsultes français, aussi bien d'ailleurs que les
auteurs anglais» italiens ou belges, ne se sont aucunement
occupés de bâtir une théorie quant au sujet qui nous inté-
resse. Ils ont considéré la proposition comme un truisme
portant en lui-même sa démonstration.
Rauter, seul, semble s'être préoccupé de la question de
causalité, qu'il pose en quelques lignes, et d'ailleurs sans
insister beaucoup. « Dans les délits d'omission, dit-il, où
l'acte de délinquer est purement négatif, il doit résulter
d'un ensemble de circonstances positives qui excluent le
fait dont l'omission est punie par la loi. Sans cela il n'y
aurait pas délit, faute d'acte de délinquer (1). »
En somme, c'est la théorie de la causalité du fait anté-
rieure, telle que nous l'avons vue avec ses développements
et sous ses formes multiples, dans le premier aspect de la
science allemande.
Mais Rauter n'a été suivi sur ce terrain par personne en
France, et il ne semble même pas qu'il ait obtenu les hon-
neurs de la discussion.
Prins (2), il est vrai, d'une façon très accessoire et à pro-
(1) Rauler, Traité^ Paris, 1836, t. I, p. 189.
(2) PriuSy Science pénale et droit positif , 1899, p. 107.
HISTOIRE DOCTRINALE 47
pos d'un cas particulier, semble aussi se rattacher à cette
théorie allemande. « C'est ainsi, dit-il, que, dans le cas où
un nageur a entraîné son camarade inexpérimenté en lui
promettant de lui apprendre à nager et avec Tintention
de ne pas tenir sa promesse et de le laisser mourir, il y a
délit d'action. » L'action consiste à avoir entraîné le débu-
tant. Mais dans tous les cas où il y a un texte formel qui im-
pose l'acte que l'on ne fait pas, où quand, en l'absence de
texte, celui qui n'agit pas avait un devoir légal d'agir (ex. :
les parents qui s'abstiennent à dessein de remplir l'obli-
gation juridique qui leur est imposée par le Code civil et
qui laissent leur enfant mourir de faim), « il n'y a aucune
différence : l'inaction voulue équivaut au délit d'action, à
l'homicide ».
Il semble donc qu'il faille, d'après lui, distinguer si l'acte
omis constituera ou non Taccomplissement d'un devoir lé-
gal. Dans la première hypothèse, il n'y a point besoin d'é-
tablir un lien de causalité, la loi est sa cause à elle-même.
Dans l'hypothèse inverse, l'omission la plus funeste et la
plus immorale n'est pas, en soi, un délit. Elle pourra le
devenir cependant si on peut rattacher le résultat par un
lien de causalité à un fait antérieur.
Cett(v dernière proposition provoque toutes les objec-
tions que nous avons adressées dans le chapitre précédent
à la théorie du fait antérieur, aujourd'hui, du reste défini-
tivement abandonnée.
Quant à l'ensemble du système, il est contradictoire. Il
faut, en effet, choisir : ou Tomission est causale, ou elle ne
48 CHAPITRE III
l*est pas. Ou la causalité est nécessaire pour qu'il y ait
imputabiiité, ou elle est inutile. Mais l'un des deux prin-
cipes une fois posé, il faut le pousser jusqu'au bout, ou,
si Ton fait des distinctions ou des exceptions, en indiquer
la cause.
Ce rapport de causalité, les auteurs français Tadmettent
fds a priori. 11 serait inutile et fastidieux d'énumérer les
opinions négatives qui ont été présentées à ce sujet. Nous
nous bornerons à citer quelques noms pris au hasard :
Ortolan (t. I, n*« 569-579) admet tacitement la causa-
lité. 11 en est de même de Dans [Principes^ 2* édit. Gand,
1874, t. I, n" 278). Rossi est muet sur notre question.
Carrara (1) qui traite le sujet en quelques lignes, sem-
ble sur certains points admettre la distinction de Prins,
mais d'une façon générale, il déclare que le délit de com-
mission par omission « ne peut se concevoir que dans le
cas où l'autre personne a un droit exigible à l'action omise.
Ainsi, dit-il, la mère qui n'allaite pas son enfant, commet
un véritable délit d'inaction, l'infanticide, car l'enfant
nouveau*né adroit à Taction de l'allaitement. »
Il ajoute que « la catégorie de ces délits s'élargit considé^
rablement dans les législations qui admettent le principe
de la solidarité défensive des citoyens ». Cette dernière
phrase nous parait intéressante, car elle reconnaît que la
question de la commission par omission se rattache inti-
mement à la conception que l'on peut se faire de la nature
du lien social, et elle justifie le procédé que nous em-
(1) Carrara, Programme, Partie générale, 1871, § 30.
MlSTOlfeE bOCTRiNALE 4Ô
ploierons en cherchant à résoudre plus loin la question
sur le terrain du droit public.
Moriaud (1) adopte également la théorie du devoir légal.
« L'homme, dit-il, cause un mal en restant inactif, s'il a
le devoir d'agir. »
Telle est encore Topinion de M. Garraud [Traité de droit
pénal français, t. IV, n®1573). « Dans tous les cas, dit-il,
où un texte formel ou une obligation juridique quel-
conque commandent d'agir, l'inaction voulue équivaut
au délit d'action... 11 sera donc indifférent que Thomicide
ait lieu par action ou par omission. » (Dans le même
sens, Blanche, t. IV, n« 468.)
On pourrait à TinRui multiplier les citations sans les
rendre plus intéressantes ni plus décisives.
¥ *
En somme, les diverses opinions émises par la science
moderne, en dehors des sciences allemande et russe, peu-
vent se résumer en ceci : on ne discute même pas la causa-
lité de l'omission et on proclame cette omission punissa-
ble, quand elle sera contraire à un devoir légal ; le tout,
sans insister et sans croire que ces propositions ont besoin
d'être démontrées.
A quoi attribuer ce dédain de la science française ? Est
ce qu'en réalité la question n'existe-pas? Théoriquement,
il nous semble cependant que oui. Il faut bien admettre
que l'omission est causale ou qu'elle ne Test pas. Si l'on
(1) Moriaud, Du délit nécessaire, Genève, 1889.
G. — 4
50 CHAPITRE UI
adopte la première hypothèse, et c*èst ce que nous ferons,
il restera toujours à établir un critérium théorique qui
permette de distinguer les omissions punissables de celles
qui ne le sont pas. Si Ton pense que Tomission en soi
ne peut être cause, comment admettre qu'elle peut le
devenir parce qu'il existera une obligation juridique d'in-
tervenir? Je sais bien que Ton peut dire: quand il y a
devoir légal, ce devoir se constitue à lui-même sa pro-
pre causalité. Mais je crains qu'il y ait là une confu-
sion. Le principe est évident quand il s'agit d omission
simple : la violation du commandement est en soi punis-
sable. Mais s'il s'agit de conséquences criminelles et indi-
rectes, il est certain qu'on ne pourra les mettre à la charge
de l'omettant qu'autant qu'on aura pu établir entre son
omission et le résultat anti-juridique de celle-ci un rap-
port de causalité. En cas de calamité, un individu légale-
ment requis de prêter secours refuse de le faire. Il est
punissable. Mais si, on refusant d'obéir, il a la volonté
criminelle de laisser mourir son ennemi, il ne pourra
être poursuivi pour meurtre qu'en tant qu'on reconnaîtra
entre son abstention et le résultat un lien de cause à effet.
La question existe donc théoriquement. Mais il ne sem-
ble pas qu'elle ait aucune importance pratique.
La preuve du dol dans l'omission, c'est-à-dire la preuve
que l'omettant non seulement pouvait prévoir, mais a
prévu en réalité les suites de son abstention, peut bien
théoriquement être apportée dans les exemples d'école
que nous avons cités. Mais en fait, elle est presque im-
HISTOIRE DOCTRINALE 51
possible. Aussi y a-t-il une tendance à confondre, en ju-
risprudence, l'omission et Timprudence. Ainsi, à propos
du refus de secours, dans le cas de larticlc 475-12* du
Code pénal, Ghauveau et Hélie disent que « même si c'est
un devoir des fonctions de l'agent, en général, il ne peut
constituer qu'une simple contravention, ou au plus un
homicide involontaire (1) ». Dalloz admet la même opinion
(Vo Cînmes et délits contre les personnes^ n° 13).
Il est cependant évident que, d'après la théorie généra-
lement admise du devoir légal source de la punissabilité
de la commission par omission, il faudrait conclure que,
dans le cas où l'omettant aurait eu la volonté consciente
de causer la mort, il serait coupable de meurtre. Mais en
raison de l'impossibilité de faire cette preuve, ces auteurs
ne s'y arrêtent môme pas.
La question n'a donc qu'une importance théorique,
mais même dans ces conditions il ne sera pas sans utilité
de l'étudier. Elle se rapporte à une phase curieuse de
riiistoire du droit pénal en Allemagne, et au surplus elle
va nous obliger à faire une analyse de la punissabilité en
droit pénal et en droit public, qui peut offrir quelque in-
térêt.
(1) Ghauveau et Fauslin-Hélie, t. III, p. 422.
CHAPITRE IV
ANALYSE DE LA COMMISSION PAR OMISSION COMPARÉE
A LA COMMISSION SIMPLE.
Avant d'essayer de construire une théorie personnelle
du délit de commission par omission, il nous parait logi-
que d'en faire l'analyse, et le meilleur moyen d'y procéder,
c'est de le comparer à la commission simple, de voir par
quels éléments il s*en rapproche et sur quels points il en
diffère.
«
D'une façon générale, pour qu'un acte puisse être puni,
la loi exige un certain nombre d'éléments qu'on peut ra-
mener à trois :
Causalité ;
Intention ;
Acte contraire au droit.
Il faut que Tacte soit causa!, c'est-à-dire de nature à
produire un résultat illégitime. S'il n'en était point ainsi,
et alors même que les autres éléments seraient réunis, il
n'y aurait pas lieu h châtiment. Nous faisons allusion à la
théorie du crime impossible.
De plus, et c'est là l'élément psychologique de la crimi-
ANALYSE DE LA COMMISSION 53
nalilé, l'agent doit avoir prévu (1) le résultat criminel. Il
faut que cette prévision ait existé au moment précis où
l'acte passait du domaine de la conception dans celui de la
réalisation. Les systèmes relatifs à la tentative punissable
s'occupent de déterminer ce point-limite delà culpabilité.
Mais ces deux éléments ne suffisent pas. Il faut encore
que l'acte commis soit un de ceux que Tagent n'avait pas
le droit d'accomplir. C'est ainsi que, dans le cas de légi-
time défense, ou dans les divers cas d'excuse indiqués par
la loi, le meurtre ne sera pas punissable. Et cela sera
vrai, môme si l'individu qui tue en défendant sa propre
vie, le mari qui abat de la balle de son revolver l'amant
de sa femme surpris en flagrant délit d'adultère, avaient
d'autres raisons d« souhaiter cette mort et de commettre
ce meurtre.
Lorsque la loi pénale dit : Tu ne tueras pets ^ elle défend
par cela même tous les actes qui sont susceptibles de don-
ner la mort, même sans intention, et l'article 319 du Code
pénal n'est qu'un développement et une application de
cette défense.
On peut donc poser en principe que le crime sera la jux-
taposition d'un acte défendu et d'une intention criminelle.
Bien qu'aux yeux de la conscience, l'intention puisse
paraître aussi coupable que le fait lui-même, la justice
(1) Nous disons prévu et non voulu ^ adoptant ainsi la théorie géné-
ralement admise en France aujourd'hui, qui voit dans Tintention une
simple prévision et non un acte de volonté (Vorslellungsiheorie des
Allemands, par opposition à la Willenstheorié) .
54 CHAPITRE IV
humaine no peut punir la pensée seule, elle ne peut frap-
per qu'un acte. La loi agira avec plus ou moins de sévérité,
suivant qu'il aura été, ou non, criminellementintentionnel ;
elle pourra parfois, dans le simple délit d'imprudence ne
pas retenir la tentative, et la châtier, en cas de crime,
aussi sévèrement que lecrime lui-même, mais il faudra tou-
jours, pour que lajustice humaine puisse intervenir, qu'un
acte existe et qu'il ait en lui-même le caractère de faute.
Ceci nous parait de toute évidence, quand il s'agit de
crimes ou de délits de commission simple. Retrouverons-
nous les mômes éléments dans les délits de commission
par omission? S'ils s'y trouvent, il sera logique d'admet-
tre qu'il faut appliquer à nos deux catégories de délits les
mêmes dispositions pénales ; si, au contraire, notre analyse
nous signale des différences, elle nous révélera également
la différence des traitements à leur appliquer.
*
Occupons-nous d'abord de la causalité. L'omission peut-
elle être causale ?
Avant tout, une définition : Qu'est-ce que la cause ? —
C'est, peut-on dire, la force initiale qui produit un résul-
tat. Nous disons : force initiale, car si la force considérée
n'est que la résultante d'autres forces, ce seront ces der-
nières qui seront cause.
Notre définition va nous conduire à cette conclusion, que
dans le monde physique il n'y a pas de causes proprement
dites, mais bien des séries causales, qui vont s'engendrant,
.-H
ANALYSE DE LA COMMISSION 55
s'enchainant et se répercutant à rinfini, et dont le point
de départ est en un lieu que la foi peut indiquer au croyant,
mais que Tétat actuel de la science ne permet pas de dé-
terminer rationnellement.
Parmi ces séries causales, les unes sont hors de la
sphère de l'activité humaine, les autres rentrent dans le
domaine de cette activité. Ces dernières, tantôt l'homme
les supprime ou les dévie, tantôt, au contraire, les laissant
à elles-mêmes, il les prend comme auxiliaires et exécu-
trices de sa volonté. Par rapport à elles, ce qui est causal,
c'est cette volonté, et cette causalité peut se produire par
action ou par omission, soit que le cours ordinaire des
choses soit détourné, soit qu'il soit confirmé dans une in-
tention criminelle.
Pour que le lien de causalité existe, il suffira que la
force qui a agi, que la série causale qui a provoqué le ré-
sultat, ait été en la puissance de l'agent, c'est-à-dire
qu'elle ait pu être déviée ou contrariée par lui. Il faudra,
en outre, que, par un acte de volition, il Tait adoptée, il
l'ait choisie comme instrument.
Quand il s'agit de la commission simple, quelle est la
cause 1 Est-ce le bras qui frappe? Non. C'est la volonté
qui commando. Celle-ci dit au bras : « Tue », et c'est cet
ordre qui est cause.
Eh bien,que se passe-t-il quand une omission volontaire
se produit? L'homme voit la série causale en mouvement.
11 aperçoit le résultat qu'elle va entraîner et en pèse les
conséquences. D'autre part, il sait qu'elle est en sa puis-
;
56 CHAPITRE IV
sance, qu'il peut la détouruer. Un sentiment du devoir,
dont nous déterminerons en son temps l'étendue» Tincite
à agir. D'autres passions le poussent à rester immobile.
Devant sa conscience, un débat s*agite. Il décide : « N'agis
pas », dit sa volonté.
Cet ordre négatif est cause, autant qu'eût pu Tètre Tor-
dre positif contraire. A Tanalyse psychologique, il n*en
diffère en rien.
Prenons un exemple : Mon ennemi dort dans ma maison
remplie de matières combustibles. Je tiens à la main une
allumette enflammée.... Un geste, Tincendie s*allunie,
ma victime meurt. J*hésite. En ce moment, dans ma cons-
cience une bataille suprême s'engage entre le devoir et la
haine. Vais-je le tuer ou le laisser vivre ?« Qu'il meure d,
dit ma volonlé.J'approche la flamme, la maison s'embrase,
le crime est accompli.
Déplaçons lég^rement l'hypothèse. Ce n'est plus moi qui
ai allumé Tallumotte : c'est le hasard qui Ta poussée là ;
cependant, elle va communiquer le feu. J'ai avancé le pied
pour réteindre ; que je l'abaisse, mon ennemi est sauvé ;
que je demeure immobile, il meurt. Qui ne sent, que le
combat qui s'engage en moi est le même que dans le cas
précédent? C*est toujours la même question qui se pose :
dois-je le tuer ou le laisser vivre ? et la conclusion est
toujours la môme : un ordre de ma volonté. La construc-
tion de la causalité se présente de façon identique dans
cette action et dans cette omission.
L<a volonté humaine est par elle-même impuissante.
ANALYSE DE LA COMMISSION 57
Pour agir,il faut qu elle s'aide des forces naturelles, qu'elle
s'incarne en elles. Elle peut réveiller des forces dormantes,
arrêter des forces en activité, ou bien aller à son but, en
les laissant librement se développer. Mais, dans tous les
cas, une fois cette union de la volonté et de la matière
accomplie, la force cesse d'être aveugle, pour devenir une
collaboratrice poursuivant un résultat voulu.
Il importera donc peu que la manifestation de la volonté
ait été positive ou négative.
C'est ainsi que, lorsqu'un ingénieur canalise un fleuve,
le tracé est son œuvre aussi bien dans les parties de son
lit qui ont été conservées que dans le cours nouveau. En
les laissant subsister, il les a faites siennes, et le bon sens,
aussi bien que la logique, nous disent qu'il sera aussi
bien « cause » pour les défectuosités naturelles qu'il a
omis de corriger, que pour celles qui peuvent exister dans
les parties entièrement établies sur ses plans.
Ce qui dans la doctrine allemande a obscurci la ques-
tion, c'est la confusion qui a persisté jusqu'à Sigwart en-
tre la causalité humaine et la causalité dans la nature
inanimée. En dehors de Thomme, l'inertie peut exister.
Les forces naturelles peuvent être en marche, ou au repos.
Mais chez Thomme, et surtout dans le domaine psycholo-
gique, l'inaction ne saurait se concevoir. L'abstention ou
la commission sont des manifestations équivalentes d'une
volonté toujours active et qui sera toujours causale.
De ce qui précède nous pouvons donc conclure, que l'é-
lément de causalité se présente sous le même aspect dans
58 CHAPITRE IV
la commission simple et dans la commission par omission.
*
Nous trouvons une égale similitude, en ce qui concerne
le second élément de punissabilité : la prévision du résul-
tat. L'intention criminelle revêt le même aspect, que le
crime soit commis par action ou par omission.
Il y aura cependant, remarquons-le en passant, une
différence considérable, mais qui n'a d'intérêt qu'au point
de vue pratique.
Dans les cas de commission simple, la phase d'accom-
plissement est brève, et en tout cas, il y a un point-limite
auquel la criminalité commence : c'est le moment où, si
nous pouvons ainsi dire, l'acte échappe à la volonté de
Fagent.
11 en sera autrement dans l'hypothèse de commission
par omission. La phase incriminée, c'est-à-dire le temps
pendant lequel l'omettant s'abstiendra, pouvant agir, sera
souvent longue. I^a volonté consciente pourra sans doute
avoir existé pendant toute cette période, mais elle pourra
aussi avoir apparu dès le commencement et disparaître
par la suite, ou bien encore n'apparaître qu'à la fin.
11 y a là, nous n'hésitons pas à le reconnaître, une
question délicate, et en pratique, c'est certainement le
point le plus difficile de la matière. Nous l'examinerons
du reste, d'une façon plus approfondie, quand nous nous
occuperons do la tentative en matière de commission par
omission.
ANALYSE DE LA COMMISSION 59
Mais c'est là une circonstance de fait qui ne touche en
rien au côté doctrinal du résultat.
Nous avons jusqu'ici trouvé une identité parfaite dans
la structure des délits de commission simple et de com-
mission par omission. La différence, si différence il y a,
va apparaître à propos du troisième élément.
Dans la commission simple, avons-nous dit, Tacte com-
mis doit être celui que l'agent n'avait pas le droit de com-
mettre. Faudra-t-il à propos de la commission par omission
admettre la proposition symétrique inverse et Tacte omis
devra-t-il être celui que Fagent avait le devoir d'accom-
plir?
Si nous répondons par Taffirmative, nous adoptons la
théorie de Feuerbach.
Notre point d'arrivée serait donc le même que celui de
la science allemande.
Dussions-nous nous exposer au reproche d'avoir fait
œuvre inutile, il nous parait impossible de nous refuser à
admettre que si une omission est punie,c'est que l'acte con-
traire était commandé.
Nous avons dit que la causalité de l'acte, même jointe
à l'intention criminelle, ne pouvait rendre cet acte délic-
tueux, s'il n'était en soi défendu par la loi. Nous pouvons
donc admettre que même causale, même intentionnelle-
ment criminelle, la commission par omission ne sera pas
punissable si elle ne constitue pas la Yioleition d'un devoir.
60 CHAPITRE IT
Nous tenons provisoirement ce postulat pour admis, en
tant que résultant de notre construction de la punissabi-
lité, nous engageant, au surplus^ à en faire plus loin une
preuve complète.
Mais ceci ne résout pas la question : il nous reste à re-
chercher quelle va être l'étendue du devoir dagir. Pro-
blème délicat, car si la loi positive dégage avec assez de
précision les obligations négatives de Thomme envers ses
semblables, il n'en est pas de même en ce qui concerne
ses obligations actives. Pour en donner une solution sa-
tisfaisante, nous devrons remonter, ainsi que nous Tavons
annoncé, aux principes du droit public ; ce sera là la par-
tie principale de notre travail.
Mais nous pourrons d'ores et déjà obtenir quelques in-
dications confirmatives, en développant le parallélisme
que nous avons commencé à établir entre la commission
simple et la commission par omission.
C'est ainsi que nous avons admis que la commission
criminelle simple serait constituée par une volonté cons-
ciente du résultat, jointe à un acte qui, involontairement
commis, serait en lui-même contraire au droit et qui, par
exemple, en cas de meurtre, constituerait Thomicide par
imprudence.
Nous devons donc provisoirement conclure que l'omis-
sion intentionnellement commissive ne tombera sous le
coup de la loi, que lorsque l'omission non intentionnelle
serait elle-même antijuridique ; ce qui revient à dire que
l'acte omis aura dû être imposé à l'omettant par une des
ANALYSE DE LA COMMISSION 61
causes qui constituent les sources ordinaires des obliga-
tions légalement sanctionnées.
En somme, la loi doit protéger l'individu contre tout ce
qui est contraire à la marche ordinaire des choses, c'est-à-
dire, d'une part, contre les agressions auxquelles il ne de-
vait pas s'attendre, d'autre part, contre les omissions
d'actes sur lesquels il était en droit de compter.
En nous restreignant à cette dernière catégorie, nous di-
rons que pour que la commission par omission puisse être
punissable, il faut que Tacte omis soit précisément celui
que la société ou la victime pouvaient légitimement espé-
rer de l'omettant.
Cette confiance dans l'action omise pourra être fondée
sur la loi ou sur la convention, soit expresse, soit tacite.
La formule se développera donc en trois termes et em-
brassera :
1^ Les actes commandés par la loi ou les règlements de
l'autorité publique.
2* Les actes devant résulter de l'exécution d'un contrat
de droit privé ou public.
3" Les actes devant résulter de l'exécution d'un quasi-
contrat de droit privé ou public.
La première série comprend les omissions contraven-
tionnelles punissables en elles-mêmes.
La seconde visera les omissions commises dans l'exer-
cice de leurs fonctions par les préposés à un service public
ou privé, et qui, en l'absence de toute intention crimi-
nelle, eussent pu donner lieu soit à des peines discipli-
62 CHAPITRE IV
naircs, soit à une action civile, soit, en cas d'imprudence,
à lapplication de Tarticle 319 du Gode pénal.
La troisième enfin va s'appliquer à Tomission des actes
auxquels ne nous astreignent ni la loi ni aucun engage-
ment formulé, mais auxquels nous nous sommes tacite-
ment obligés. C*est ainsi, par exemple, que celui qui sort
avec un ami aveugle, s'engage par ce fait même à le gui-
der au milieu des dangers de la rue. S*il l'abandonne par
simple négligence et si cet abandon entraine sa mort, il
aura commis un homicide par imprudence, et il sera cou-
pable de meurtre, s^illafait intentionnellement (1).
*
Nous avons été conduit aux diverses propositions qui
précèdent en décomposant les éléments qui constituent
les délits de commission par omission et en les comparant
entre eux. Mais nous n'hésitons pas à avouer que jusqulci
nous n'avons fourni aucune explicationthéorique niaucune
preuve. C'est ce que nous allons nous efforcer de faire
dans la seconde partie de ce travail.
(1) Ce nous est un agréable devoir de rendre ici un respectueux hom-
mage à M. le professeur Mentha qui, dans un remarquable discours
prononcé le 18 octobre 1897 à l'académie de Neufchàtel (Mentha, Les
délits de commission par omission, Neufchàtel, 1898), et dans un ap-
pendice ajouté à rimpression de ce discours, a brièvement esquissé
une théorie voisine de la nôtre. Nous le remercions également bien vi-
vement de la bienveillance qu'il nous a témoignée et des encourage-
ments qu'il a bien voulu nous donner.
CHAPITRE V
POSITION DU PROBLÈME DE LA COMMISSION PAR OMISSION
EN DROIT PUBLIC,
En procédant par analogie et d'une façon pour ainsi
dire empirique, nous avons déterminé dans les chapitres
qui précèdent une formule de punissabilité de la commis-
sion par omission. Nous allons en faire la critique et recher-
cher si elle est conforme aux principes du droit public.
*
Nous procéderons cette fois par déduction. Faisons
donc table rase de tout ce que nous avons dit, oublions
ce que nous avons appris, et^ nous basant simplement
sur des principes rationnels de droit public, cherchons à
bâtir une théorie dont la conclusion devra être celle que
nous avons posée à la fin du précédent chapitre.
Pour rechercher si l'omission doit être punie et dans
quels cas elle doit Têtre, la logique veut que l'on examine
au préalable quel est le fondement théorique du droit de
punir. Lorsqu'en effet nous aurons vu en vertu de quels
principes la loi châtie, nous verrons s'il est possible d'é-
tendre ces mêmes principes à l'omission et dans quelle
mesure on peut le faire.
64 CHAPITRE V
Le droit de punir, a-t-on dit quelquefois, n'est qu'une
des formes du droit de légitime défense : Thomme, être
vivant, a le droit et le devoir de conserver sa vie.
Cette conception tend à restreindre dans une large me-
sure la portée des lois pénales. La peine ne serait plus lé-
gitime qu'autant qu'elle pourrait efficacement mettre la
société à labri d'une nouvelle entreprise de la part du
coupable.
On donne Jl est vrai, un sens plus large à ce principe :
La société se défend, dit-on, non pas par le châtiment,
mais indirectement par la crainte que la punition inspire,
ou mieux encoreparl'oiïel salutaire de la correction.
Môme sous cette forme, l'explication ne nous satisfait
guère. Car enfin, si le droit de légitime défense, sous sa
forme la plus simple, parait bien appartenir h l'individu,
on ne voit pas très nettement en vertu de quel enchaîne-
ment ce droit va passer de l'individu au corps social, et
comment ce dernier, confisquant, au moins en partie, la
liberté naturelle de Tliomme, pourra s'arroger, une fois
pour toutes, le droit d'établir, d'une façon souveraine, la
distinction entre ce qui est défendu et ce qui est permis.
D'autre part, pour pouvoir parler logiquement des droits
de la société, il faut, au préalable, expliquer la nature et
l'origine de l'être vague et imprécis que Ton dénomme
ainsi.
Nous n'insistons pas, mais nous ne pensons pas qu'il
soit possible de baser uniquement sur le droit de légitime
défense une théorie de répression pénale.
POSITION DU PROBLÈME EN DROIT PUBLIC 65
En somme, rechercher le fondement du droit de punir,
c'est analyser la formation du lien social et la nature du
pouvoir.Nous ne songeons certes pas à étudier, même inci-
demment, une aussi formidable question : nous nous bor-
nerons à énoncer quelques-unes des solutions que Ton peut
en présenter et les conséquences que l'on peut en tirer au
point de vue de la commission par omission.
•à
♦ ♦
Tous les systèmes proposés peuvent se répartir en deux
groupes, suivant leur conception du rôle de l'homme dans
la société.
Pour les uns, le monde est la résultante d'une loi im-
muable, aveugle et fatale ; l'homme n'est qu'une combi-
naison d'accidents vitaux, une des formes que revêt la vie
universelle. Il n'est qu'un anneau dans la chaîne des êtres.
On voit immédiatement que, dans ce système, les règles
qui gouvernent la société et les rapports des hommes en-
tre eux vont se rapprocher des lois physiologiques qui
régissent la matière.
Correspondante cet ordre d'idées, il s'est créé, durant
ce siècle, deux sciences nouvelles, fort h la mode en ce
moment, et qui d'ailleurs procèdent l'une de l'autre : la
biologie et la sociologie.
Pour les autres, au contraire, l'univers est l'œuvre d'une
volonté intelligente qui coordonne et dirige vers un but
connu d'elle seule, les phénomènes qui régissent la ma-
tière inerte ou qui agitent le monde inanimé.
G. - 5
66 CHAPITRE V
L'homme dc se confond plus avec le reste de la nature.
Il s*en distingue par des attributs que lui seul possède et
qui en font un ôtre différent et supérieur. Sa vie n*est pas
seulement le développement et l'enchaînement d'actes or-
ganiques : elle est la poursuite, à travers les contingences
vilales, d'un but supra-terrestre.
(iomme conséquence, nous allons avoir une conception
nouvelle du devoir.
Ce devoir pourra se concevoir, soit dans les rapports de
l'homme avec son Créateur, soit dans les rapports de
rhomme avec ses semblables, et à chacun de ces aspects
correspondront des sanctions différentes.
Bien que nous n^hésitions pas à affirmer nos convictions
et que nous nous prononcions nettement pour les doctri-
nes spiritualistes, préoccupé, avant toutes choses, défaire
œuvre complète et impartiale, nous chercherons la cons-
truction de la punissabrlité de la commission par omission,
à chacun de ces deux points de vue.
Ce travail aura eu outre l'avantage de nous permettre
de vérifier une fois dc plus, par la comparaison des résul-
tats obtenus, la vérité de notre formule.
CHAPITRE VI
DOCTRINES MATÉRIALISTES.
I. — lift oommisBlon par omission dans Tliypo thèse du contrat
ou du qnasi-oontrat sooial.
Les doctrines matérialistes relatives à Torigine de la
société se présentent sous un double aspect :
« La théorie du contrat social.
« La théorie socio-biologiquo de l'évolutionnisme.
Nous étudierons la première dans ce chapitre.
*
Elle évoque le nom de J. J. Rousseau, bien qu'elle ap-
partienne à tous les philosophes des XVIP et XVIIP siècle et
notamment à Locke et à Hobbes qui avant lui, avec moins
de brillant, mais peut être plus de solidité, Tont présentée
et défendue.
Les systèmes de ces écrivains diffèrent sur des points
importants* mais ils reposent sur des données commu-
nes.
Ils sont d'accord pour supposer, antérieurement à Tétat
social, un état primitif de nature oîi Thomme n'obéissait
qu'à son instinct, et n'était limité dans les manifestations
de sa liberté que par sa faiblesse et la force d'autrui. Puis
68 CHAPITRE VI
pour expliquer la substitution à Tétat ancien d'un état
nouveau, ils admettent tous un contrat. Ils ne diffèrent
que quant à ses clauses et à ses effets. C^estdonc de celui-
ci qu'est né le droit social de punir. Par lui, l'individu
aliéna tout ou partie de sa liberté et, en échange d'un en-
gagement réciproque de la part de ses semblables, s'enga-
gea à faire ou à ne pas faire certains actes ; d'un libre con-
sentement il se soumit à la loi, et en cas de violation, au
châtiment.
Ce système, ramené à son idée maîtresse, a le mérite de
fournir un concept social précis et de donner à la société
humaine une base juridique, mais en revanche, si Ton
voulait le prendre rigoureusement à la lettre, il appa-
raîtrait comme invraisemblable et en opposition avec ce
que nous savons de Tétat de Thorame à l'époque primi-
tive.
Aussi, ne peut-on Taccepter que comme une pure hy-
pothèse de raisonnement.
Une école toute récente, qui a fait ses débuts dans
le monde économique sous le patronage d'un desprofes-
seurs éminents de la Faculté de Paris, le solidarisme, nous
fournit une conception voisine de celle-là, mais avec un
caractère plus pratique.
Elle consiste à substituer à l'idée de contrat celle de
quasi-contrat. « Le quasi-contrat, dit-on, n*est autre chose
qu'un contrat tacitement consenti et rétroactivement for-
mulé. » Partout où la nécessité des choses met les hommes
en rapport,avant qu'ils aient pu établir des conventions, la
DOCTRINES MATÉRIALISTES 69
loi cherche à déterminer et constate celles qu'ils eussent
vraisemblablement établies, s'ils avaient eu le temps de
manifester leurs intentions. Il n'y a là, en somme, qu'une
interprétation de volonté, une présomption de consente-
ment. C'est de cette manière que le droit civil règle les
situations quasi-contractuelles.
Or, cette situation est exactement celle des individus
groupés sous la forme sociale. De fait, les hommes sont
en société ; c'est un quasi-contrat qui déterminera les
clauses de cette société. « Au lieu d'un quasi-contrat de
droit privé nous avons un quasi-contrat de droit public. »
Ceci nous parait contenir une part de vérité, et nous
verrons que les doctrines spiritualistes, auxquelles nous
nous rallions, admettent un système voisin de celui que
nous venons d'exposer.
Ce sont les clauses de ce quasi-contrat, continue- t-on,
qui constituent la loi, et, c'est afin d'assurer sa propre
exécution qu'il comporte des peines pour ceux qui le vio-
lent. La loi pénale n'en est que le développement, et le
droit de punir est basé sur la soumission de chacun de
nous au châtiment, par le seul fait de notre naissance et
de notre entrée dans la société.
Ces divers points acquis, tirons-en des conséquences au
point de vue de l'étude de la commission par omission.
La loi pénale n'étant que la sanction du quasi-conlrat
social, il est de toute évidence, que l'on peut également
70 CHAPITRE VI
s'engager à faire ou à ne pas faire quelque chose et qu'en
principe, elle pourra punir aussi bien les omissions que
les commissions. ,
Mais il est également certain, que nul ne sera tenu que
dans les limites de son engagement. Le principe, en effet,
c'est rindépendance de Thomme vis-à-vis de Thomme. Et
si chacun peut avoir des devoirs, personne, à l'état de na-
ture, n'a le droit de demander compte à son semblable de
leur accomplissement.
Ce droit de contrôle n'existera donc qu'en tant qu'il y
aura contrat, et rigoureusement dans les limites de ce con-
trat ou quasi-contrat.
De Ih une double conséquence :
Celui-là sera puni, qui aura volontairement lésé autrui
par une action qu'il s'était engagé à ne pas faire, c'est-à-
dire, défendue par la loi.
Celui-là sera châtié, qui aura volontairement lésé autrui
par l'omission d'un acte qu'il s*était engagé à accomplir,
c'est-à-dire ordonné parla loi.
Nous ne nous plaçons, bien entendu, qu'à ce second point
de vue qui est le nôtre. En ce qui le concerne, le raisonne-
ment ne s'arrête pas là. La loi pénale étant le minimum
des obligations nécessaires au fonctionnement de la vie
sociale, la société, elle-même, ne saurait affranchir l'indi-
vidu d'aucune d'entre elles, mais rien n'empôche l'individu
de consentir à ce qu'il soit ajouté à ces devoirs ; cette
obligation nouvelle et accessoire aura le même fondement
juridique que l'obligation originaire et principale imposée
par la loi et sera sanctionnée comme elle.
DOCTRINES MATÉRIALISTES 71
C'est ainsi,, pour prendre un exemple classique, que l'ai-
guilleur qui, volontairement et consciemment, omet de
faire le geste qui doit lancer le train sur la voie libre, et
par son abstention, dans un but de haine ou d'intérêt, pro-
voque une catastrophe et la mort des voyageurs, commet
le crime d'assassinat.
Ce n'est cependant pas la loi qui lui prescrivait l'acte
sauveur ; mais le quasi-contrat primitif avait été modifié"
par rapport à lui, et dans un sens extensif, par un contrat
administratif qui, étendant le champ de ses devoirs, éten-
dait aussi le cercle de sa responsabilité pénale.
Mais nous avons encore un pas à faire. Ce n'est pas seu-
lement par le contrat que l'individu pourra augmenter le
nombre des devoirs positifs et Tétendue de sa responsabi-
lité, ce sera encore, et en vertu d'un raisonnement identi-
que à celui que nous venons de faire, par les quasi-con-
trats. Ceux-ci,résultant des incidents de la vie journalière,
pourront se multiplier à l'infini. Toutes les fois qu'expres-
sément ou tacitement l'homme aura pris en charge un de-
voir nouveau, il aura, en ce qui le concerne, élargi le champ
des commissions par omission punissables. Un nageur va
à l'eau avec un enfant qui s'exerce à nager : il s'engage
par ce fait à veiller sur lui, et si, avec la volonté de causer
sa mort, il omet de lui porter secours, il sera coupable de
meurtre.
En somme, en entrant dans la société, l'homme accepte
d'y jouer un rôle. Ce rôle peut ôtre simple, c'est celui fixé
parle quasi-contrat social originaire.il peut ôtre rendu
72 CHAPITRE VI
complexe par radjonction volontairement, consentie de
nouvelles obligations.
Nous aurons ainsi des devoirs primaires et généraux
imposés à tous par la loi pénale, et des devoirs secondai-
res et individuels s'imposant seulement à certaines per-
sonnes, en vertu de contrats ou de quasi-contrats particu-
liers.
Les uns et les autres peuvent consister tantôt à faire,
tantôt à ne pas faire, mais, positifs ou négatifs, ils ont le
même fondement juridique. Leur violation a également
pour effet de fausser l'organisme social. Lors donc qu'elle
aura entraîné des conséquences criminelles, Tagent ou
l'omettant auront encouru la même responsabilité pénale.
Ces devoirs, quant à leur origine, correspondent à une
triple division : la loi, le contrat, le çnasi- contrai.
Nous revenons ainsi précisément à la formule que nous
avionsétabliedansun desprécédents chapitres, comme ré-
sultant de Tanalyse de la commission par omission rappro-
chée de la commission simple.
Ce système nous parait présenter une part de vérité,
soit dans la logique de son développement, soit dans ses
conclusions pratiques, mais il est impossible d'accepter sa
conception du devoir et d'admettre que l'homme n'a d'o-
bligations actives ou passives, que celles résultant d'un
consentement exprès ou tacite, originaire ou postérieur,
général ou particulier.
DOCTRINES MATÉRIALISTES 73
Nous en présenteroiis,au surplus, la réfutation en expo-
sant plus loin une autre doctrine qui donne au devoir son
véritable caractère, en lui attribuant une origine supra-
humaine.
CHAPITRE VU
DOCTRINES MATÉRIALISTES.
II. — La oommitsion par omission et les doctrines
basées sur la biologie.
Vers le milieu de ce siècle, une doctrine nouvelle, dont
Tinitiateur est Auguste Comte, proposa de résoudre les
problèmes qui hérissent l'étude du droit public, en assi-
milant les doctrines sociales aux sciences physiologiques.
Ce mouvement donna naissance à deux sciences nou-
velles dont nous avons déjà parlé, la biologie et la so-
ciologie.
Ces deux sciences reposent sur une assimilation à éta-
blir entre l'organisme humain et le corps social. La con-
ception semblait devoir conduire et a conduit, en effet, au
socialisme. Cependant il s'en est détaché une branche qui
a abouti à Tindividualisme féroce d'Herbert Spencer dont
nous dirons un mot à la fin de ce chapitre.
Les sociologues considèrent la théorie de Comte comme
le pendant, ou pour mieux dire, le complément de Thypo-
thèse de Laplace.
Le monde est constitué par une gigantesque échelle, le
long de laquelle s'échelonnent des combinaisons toujours
semblables. Depuis les organismes qui échappent au
DOCTRINES MATÉRIAUSTES 75
microscope par leur petitesse, jusqu'à ceux qui débordent
notre imagination par leur immensité, tout être est com-
posé de cellules, qui sont elles-mêmes des êtres, el est lui
même cellule dans une combinaison supérieure.
L'homme n'échappe pas à cette loi : c'est une cellule du
corps social. A ce titre, il a une double existence : indivi-
duelle, entant qu'il est unité, collective, en tant qu'il fait
partie de la société. Il a des droits et des devoirs, comme
être distinct, il en a d'autres correspondant à sa vie sociale.
Entre ces deux catégories d'obligations, il existe d'ailleurs
une étroite solidarité.
Cette conception semblerait devoir nous conduire bien
loin dans la voie du socialisme et étendre démesurément
le domaine des délits de commission par omission. Mais
le système se combine avec une loi d'évolution en vertu
de laquelle les cellules tendent à se rapprocher en un
groupement de plus en plus compact.
Cette évolution, considérée au point de vue de la so-
ciété humaine, comprendrait trois phases :
Apparition de la monade humaine ; vie indépendante
avec une simple tendance au rapprochement. Ceci corres-
pond à l'état de nature des théoriciens du contrat social. —
Constitution de la société, établie dans l'intérêt de l'indi-
vidu. Le caractère individualiste et égoïste l'emporte sur
le caractère collectif. — Enfin, l'état idéal : la cellule s'ab-
sorbe de plus en plus dans Tunité sociale ; Tégoïsme dis-
parait. La préoccupation dominante de l'individu devient
l'intérêt de la chose publique et par suite de ses sembla-
bles.
76 CHAPITRE VII
*
« «
Cette première théorie ne pourra donc pas nous fournir
une conception absolue des devoirs de Thomme envers
Thomme. Ceux-ci varieront suivant la phase de l'évolu-
tion que Ton considère. Or, les partisans du système ad-
mettent assez généralement que nous sommes parvenus
aujourd'hui à la fin de la seconde phase et quelques-uns
affirment que Ton voit déjà se dessiner le mouvement qui
nous fera passer dans la troisième. Donc, surtout si Ton
se reporte à la période historique qui a vu naître les codes
français et, d'une façon générale, les principes de notre
droit pénal moderne, il est hors de doute que c'est la se-
conde phase, celle que nous avons appelée la période
d'égoïsme, que nous devons considérer ; c'est une théo-
rie individualiste que nous devons trouver à la base de
l'œuvre du législateur de 1810. L'homme ne sera obligé
que dans la mesure de son intérêt.
Insister nous mènerait trop avant dans ces systèmes
que nous n'indiquons que pour mémoire. Bornons-nous
à constater que, quant aux conclusions qu'on peut en tirer
relativement à la commission par omission, ils concor-
dent avec les précédentes théories et avec la formule que
nous avons donnée.
*
De l'union de la biologie et des doctrines sociales est
née, nous venons de lo voir, une forme nouvelle et très
DOCTRINES MATÉRIALISTES 77
accentuée du socialisme. L'union de la biologie et des
théories individualistes a également exacerbé la cruauté
de celles-ci.
Ici aussi, on entend résoudre les questions relatives à
l'organisation de la société par l'application d'une loi gé-
nérale vitale. Cette loi, c'est celle de Tamélioration des
espèces par la sélection des êtres. La lutte pour la vie en
est la base. 11 est nécessaire qu'elle soit sans merci et que
les faibles disparaissent. Grâce à cette élimination, l'es-
pèce qui ne comptera plus que des êtres forts et éprouvés
par le combat, progressera. L'assistance, dès lors, n'appa-
raît pas comme un devoir, mais elle est une violation
véritable des lois naturelles.
L'homme n'a vis-à-vis de l'homme aucunes autres obli-
gations que celles qui pourraient lui être dictées par son
propre intérêt. Do ut des, telle va être la formule de la
morale, qui ne se distinguera pas, du reste, de la loi pé-
nale. 11 n'y a pas de devoirs dans le sens large du mot ;
il n'en existe qu'autant qu'il y a ordre du législateur, ou
obligation découlant d'une cause consensuelle : contrat ou
quasi -contrat.
*
Bien qu'il nous soit impossible de reconnaître quelque
exactitude à ces théories, nous ne contesterons pas qu'elles
sont intéressantes,car elles constituent l'introduction d'un
élément nouveau dans le droit public.
L'aperçu sommaire que nous venons d'en donner ne
correspond pas à l'importance qu'elles ont acquise dans
78 CHAPITRE Vil
la science sociale contemporaine. Mais nous ne nous som-
mes proposé que de les effleurer, en vue de compléter la
démonstration de l'exactitude de notre formule relative à
la punissabilité de la commission par omission, à laquelle
nous aboutissons pour la troisième fois.
CHAPITRE Vlll
LES DOCTRINES SPIRITUALISTES. — LA COMMISSION PAR OMISSION
BT LE PRINCIPE DE LA LIBERTÉ HUMAINE.
Nous n'avons pas à discuter ici le fond même des doc-
trines que nous venons de résumer, mais nous devons
d'un mot indiquer les raisons pour lesquelles ces deux
théories nous paraissent inadmissibles.
N'est-ce pas donner à la société une base bien fragile,
que la faire reposer sur le seul consentement humain?
N'est-ce pas reconnaître qu'il dépendait de l'homme de
vouloir et d'admettre comme possible un état naturel basé
sur l'indépendance absolue de Tindividu ? Or ceci n'est-il
pas contraire à la réalité ? L'homme, aux yeux de tout
observateur, présente un ensemble d'instincts, de qualités
à la fois intellectuelles et physique^, qui nécessairement
devaient le conduire au groupement, et qui justifient ce
nom d*animal sociable que lui donne le plus grand philo-
sophe de l'antiquité.
Les conséquences de ce système par rapport à la loi
pénale nous paraissent plus critiquables encore. Il tend
en effet à faire découler la force obligatoire de cette loi
d'une adhésion préalable de l'individu, ce qui serait porter
atteinte à l'autorité de la justice répressive.
80 CHAPITRE VllI
Nous repoussons également de toutes nos forces les doc-
trines socio-biologiques qui veulent considérer le devoir
comme une des formes des lois physiologiques. Ces théories
ont une apparence scientifique qui peut séduire certains
esprits au premier abord. Mais, si on les serre de près, on
voit que cette savante construction repose sur le néant.
Son point de départ est une assimilation entre les phéno*
mènes sociaux et les phénomènes de Tordre physique, qui
non seulement n'est point établie, mais contre laquelle
protestent Tinstinct, la raison et la science elle-même.
La comparaison entre le rôle de Tindividu dans la société
et celui de la cellule dans Torganisme^et les conséquences
que Ton veut en tirer au point de vue de la double série
des devoirs et des droits de Thomme sont ingénieuses,
mais elles sont fausses.
Nous ne pouvons pas concevoir la cellule vivant en
dehors de lorganismc, tandis que Thomme a une vie pro-
pre qui persisterait,mème si on le séparait de la société.
Tous les raisonnements qui ont été basés sur cette préten-
due identité de rapports, la construction des devoirs sub-
jectifs et objectifs de Thomme, et l'application que Ton
peut en faire à la théorie de la commission par omission,
tout croule donc.
Nous n'insisterons pas sur ces critiques, et nous nous
bornerons à les confirmer en développant notre théorie
personnelle relative à la formation de la société, à la na-
ture du devoir social et par voie de conséquence à la
commission par omission.
DOCTIUNES SPIRITUALISTES 8l
« «
L'être humain, considéré individuellement, nous appa-
raît, aussi bien au point de vue physique, qu'au point de
vuemorah comme destiné à vivre en société. Les nécessi-
tés de la vie, Pinstinct naturel, la voix de la conscience,
la raison le proclament et la révélation religieuse le con-
firme. C'est donc en vertu d'un ordre de la Providence créa-
trice que virtuellement la société apparaît on môme temps
que rhomme lui môme. Cette théorie, qui est d'ailleurs
celle de tous les écrivains spiritualistes, a été présentée,
sous une forme nouvelle, par M. de Vareilles-Sommières,
auquel nous emprunterons plusieurs de ses formules, d'où
se dégage avec une saisissante netteté la formation du
lien social (1).
« L'état primitif de l'homme, dit-il, peut s'appeler la
société universelle ou la société humaine, car il n'est pas
un homme qui soit dégagé de ses liens ou exclu de ses pro-
fits Mais pour faire produire à la société humaine tous
ses fruits, il faut que les familles se groupent ou restent
groupées en bon nombre dans une même région. Ce contact
est impérieusement réclamé par la nature de l'homme.»
Au sein de la société universelle, par les circonstances
ou par la volonté de chacun, vont donc se former diffé-
rents groupes plus étroits, « corollaire et développement
de la société universelle ». C'est la société civile qui appa-
raît.
(1) De Vareilles-Sommières, Principes fondainentaui: du droit, Pi-
chon, 1889, p. 57 et s.
G. — c
82 CHAPITRE VIll
Par application de cette loi primordiale, '< les hommes
que les circonstances ont groupés, se trouvent tout de
suite, indépendamment de toute délibération et de tout
assentiment, au point où, quand il s^agit d'une société
volontaire, les contractants se trouvent après la conven-
tion. Le but est fixé, les apports sont déterminés ou dé-
torminables, les engagements sont inéluctables, la société
est formée, il ne manque plus que lexécution et la mise
en train. »
C'est une « société nécessaire »>.
Cette conception présente,en fait,quelque analogie avec
celle du quasi-contrat. Dans Tun et l'autre cas, nous som-
mes en présence d'obligations résultant du fait même de
la réunion de plusieurs individus en société, mais ici ces
obligations ont leur fondement juridique dans une pré-
somption de consentement, là elles découlent de la nature
môme de Thomnie, de la fin qu'il poursuit conformément
aux desseins de la volonté créatrice.
I/origine des règles à interpréter sera donc différente ;
la nécessité d'une interprétation sera la même.
Cette interprétation sera Tœuvre du législateur. Ayant
pour mission de traduire la volonté de la puissance créa-
trice, telle qu'elle se manifeste dans son œuvre, il étudiera
Thomme et le but assigné à sa vie.
*
De cet examen se dégage aussitôt la constatation sui-
vante : ce qui caractérise Thomme, ce qui le distingue
DOCTRINES SPIRITUALISTES 83
du reste de la nature, c'est sa liberté. Tandis que le corps
inerte obéit aveuglément à la force qui l'entraîne, que
ranimai va oîi son instinct le pousse, seul Thomme veul;
entre les diverses voies qui le sollicitent il peut choisir.
Quel est le caractère de cette liberté ? Est-elle absolue ?
L'homme peut-il à sa guise disposer de ses actes et de sa
vie? non certes. Il est aussi des lois qui s'appliquent à la
volonté humaine, laquelle matériellement peut bien s'in-
surger contre elles, mais sans avoir jamais le droit de s'y
soustraire. L'homme reste toujours libre en fait, mais en
droit sa conduite est tracée avec autant de certitude que la
marche des astres à travers l'espace et, pour n'être point
jalonnée, la route qu'il doit suivre n'en existe pas moins.
Par une insigne faveur, la volonté qui préside à l'harmo-
nie de l'univers et qui a plié à une soumission aveugle les
forces de la nature, a voulu que l'obéissance de l'homme
fût due à une adhésion libre de sa volonté.
Donc le caractère essentiel de l'homme, sa marque de
noblesse, pourrions-nous dire, est constituée par cette fa-
culté de vouloir et de faire le bien ou le mal à son gré.
Cette prérogative d'un ordre supérieur, le législateur
devra se garder d'y porter atteinte. Dans la société l'hom-
me restera donc libre de faire le bien, sans y être con-
traint ; il ne sera responsable de sa conduite qu'envers
celui qui seul a le droit de lui en demander compte. La
loi s'attachera non pas à porter atteinte à la liberté, mai s à
la conserver.
84 CHAPiTHi!: vin
Mais pour protéger la liberté de l'un, il faut, dans une
certaine mesure limiter la liberté des autres. Nous reve-
nons ainsi à la formule vieille, mais toujours vraie : « La
liberté de chacun s'étend jusqu'au point précis où celle
d'autrui commence ».
Ajoutons d'ailleurs que cette formule devra être inter-
prétée dans un sens large, et que notre principe ne se rat-
tache en rien à la conception de l'Etat-Gendarme.
La liberté, telle que nous la concevons, n'est pas celle
des purs individualistes qui, à part un minimum de res-
trictions, laissent le champ libre aux combattants achar-
nés de « la lutte pour la vie »et permettent au fort d'écra-
ser le faible. La liberté pour nous, c'est, avons-nous dit, la
faculté réservée à l'homme de faire son devoir, sans y
être contraint par la force et sous la seule impulsion de
sa conscience et de sa raison ; c'est, dès lors, le droit d'épa-
nouir librement ses initiatives vitales sans être troublé
par autrui, et, comme corollaire, c'est l'obligation de res-
pecter ce droit dans ses semblables.
Pour sanctionner cette obligation et ce droit, la loi de-
vra s'efforcer de maintenir l'équilibre entre les forces so-
ciales et les activités humaines, elle interviendra pour
empêcher le fort d abuser de sa force et le faible de suc-
comber sous sa faiblesse. En assurant à l'homme sa li-
berté, elle assurera sa sécurité sous toutes ses formes.
Ses interventions dans les rapports humains seront donc
DOCTRINES SPIRTTUALISTES 85
fréquentes, mais les obligations multiples qu'elle pourra
imposer ne pourront avoir pour but que de protéger la
liberté de l'individu contre les empiétements de ses sem-
blables, et jamais de la violenter, fût-ce dans une pensée
de morale sociale.
Cette proposition va déterminer la nature des seules
obligations que puisse imposer la loi humaine.
Nous aurons une double série de devoirs : devoirs
supérieurs, comprenant tous ceux que la conscience com-
mande à rhomme et dont l'accomplissement constitue la
vertu — ceux-là, et c'est ce qui fait leur mérite, leur
grandeur, ne seront point sanctionnés par la loi, — devoirs
inférieurs, sanctionnés par la loi, et qui consistent essen-
tiellement dans le respect de la liberté d'autrui.
Telle est la délimitation qu'il faut faire entre les do-
maines respectifs de la justice humaine et de la justice
divine, de la morale et de la loi pénale. L'universel con-
sentement ratifie d'ailleurs la justesse de cette distinction.
Ce ne sont point seulement les préceptes religieux qui
nous enseignent que sont surtout méritoires les actes que
la loi n'impose pas. C'est l'instinct de la conscience. Cest
l'opinion de la foule. Citons-en un exemple pris dans un
domaine bien éloigné de la religion ou de la morale. Pour-
quoi les hommes qui se piquent d*honneur,iront-ils payer
une dette de jeu, de préférence à une dette garantie par
tout l'arsenal des lois de procédure, si ce n'est parce que
dans un cas le paiement est libre, et que dans l'autre il est
contraint ? Préjugé, dirat-on. Bien souvent les préjugés
86 CHAPITRE VIII
ne sont que la voix de la conscience se faisant jour à tra-
vers les arguties de Tégoïsme et de l'intérêt.
Nous tenons donc le principe pour certain, et nous allons
en faire application à la théorie de la Commission par
omission.
• «
La loi, avons-nous dit, et spécialement la loi pénale, a
pour but df5 maintenir Téquilibre entre les libertés des
individus. D'une façon générale, elle doit empêcher Thom-
me d'empiéter sur la liberté d'un homme. Or ces empiéte-
ments ne peuvent résulter que d'actes positifs.
En revanche elle ne pourra contraindre personne à ve-
nir en aide à son semblable, quoique facile que cela soit,
quelque monstrueuses que puissent être les conséquences
de l'abstention.
Aux yeux de la loi, mais seulement de la loi humaine,
remarquons-le bien,chaqueindividu apparaitenfermédans
son « moi » ainsi qu'en une forteresse inviolable, d'oîi il
ne doit sortir pour molester personne et oîi nul ne peut
aller le troubler. Si le cri d'appel d'un de ses semblables
arrive jusqu'à lui, aucun ordre humain ne lui commande
d'intervenir. Il pourra souhaiter le malheur d'autrui, s'en
réjouir, en profiter.
A première vue, il ne semble pas que cette conception
diffère de la théorie féroce d'Herbert Spencer et des indi-
vidualistes, et cependant elles sont en réalité toutes deux
opposées.
DOCTRINES SPIRITUALISTES 8(7
Pour nous, rhomme se présente sous un double aspect,
et celui que nous venons de voir est son aspect légal, celui
de ses obligations par rapport à la loi pénale. Mais à côté
et au-dessus de ces obligations, se placent, nous Tavons vu,
ses obligations morales, et le domaine de celles ci sera
d'autant plus étendu qu^aux yeux de la loi humaine elles
resteront facultatives. A ce second point de vue,rhomme a
des devoirs d'assistance envers ses semblables et sera tenu
de leur sacrifier son égoïsme et son repos.
Ceci bien précisé, nous pourrons, sans qu'il en coûte à
l'instinct de justice qui parle au fond de notre conscience,
pousser jusqu'au bout les conséquences à tirer du carac-
tère de la loi pénale et en dégager la formule de punis-
sabilité jde la commission par omission.
Ce serait porter atteinte à la liberté de Thomme, que de
l'obliger à une action sous prétexte que l'omission con-
traire peut léser autrui, et la proposition restera vraie
même dans le cas où lometlant aurait prévu et voulu le
résultat de son attitude.
Le principe sera donc que l'homme ne sera jamais pé-
nalement tenu à une action et que la commission par
omission ne sera pas punissable.
Cette règle comporte, disons-le bien vite, des séries de
dérogations, mais qui ne sont que la conséquence et le
développement de nos principes.
La liberté, et par suite la sûreté et la commodité de
chacun, sont garanties par l'organisme social. Grâce à lui
le cours ordinaire des choses se poursuit d'une façon régii-
88 CHAPITRE VIII
lière. Tout trouble apporté à son fonctionnement est une
entrave à la liberté des membres du corps social. Or ce
trouble pourra résulter soit de la commission d'un acte dé-
fendu, soit de lomission d'un acte sur lequel on avait le
droit de compter.
Cette confiance en Taccomplisscment de l'acte pourra
être basée sur une disposition légale. L'omission de l'acte
commandé aura le même caractère que Tacte défendu.
Elle sera punissable en soi, en tant que violation simple
de la loi, mais si elle a entraîné des conséquences crimi-
nelles voulues, il y aura crime, exactement comme si le
résultat eût été atteint par une action. Nous avons ainsi
une première série de commissions par omission punis-
sables.
Mais Tordre social n'est pas réglé seulement par les
prescriptions de la loi pénale applicables à tous, il peut
Tétre aussi, à l'égard de plusieurs individus ou d'un seul,
par des contrats administratifs ou de droit privé, par des
contrats tacites ou môme des quasi-contrats. Nous avons
déjà indiqué les hypothèses correspondant à cette propo-
sition.
Nous sommes donc ramené encore à la formule que
nous avons trouvée au bout de tous nos raisonnements et
en vertu de laquelle la commission par omission sera
punissable, toutes les fois que lacté omis était imposé par
la loi, le contrat, le quasi -contrat.
DOCTRINES SPIRITUALISTES 89
« •
Notre doctrine nous a donc conduit à des conclusions
semblables à celles formulées par les systèmes opposés.
Mais elle s'en distingue en ceci, qu'elle concilie la logi-
que implacable qui nous dit que ce n'est point le rôle de
la loi pénale de contruindre l'individu à Taccomplisse-
ment de purs devoirs de bienveillance, avec la voix de la
conscience qui proclame que nous devons nous dévouer
à nos semblables. La générosité, le dévouement, la vertu
ne sont pas des obligations légales, parce qu'il est confor-
me au dessein de la volonté qui a créé le monde, de leur
donner une source plus haute que la crainte de la loi. Le
législateur n*a pas à imposer les devoirs d'assistance, afin
que ceux-ci restent la manifestation de cet instinct sacré
vivant au cœur de Thomme : la Charité !
L
CHAPITRE IX
LA COMMISSION PAR OMISSION ET LES PRINCIPES DU
DROIT FRANÇAIS.
Nous avons, en examinant en droit public Torigine de
la société, vu que, quel que soit le concept social adopté,
nous arrivons à la même formule de punissabilité des dé-
lits de commission par omission.
Cette constatation constitue en faveur de celle-ci une
forte présomption d'exactitude. Mais pour corroborer par
l'induction les résultats obtenus par la déduction, nous
allons comparer cette formule avec les principes géné-
raux qui régissent notre droit positif.
La commission par omission, avons-nous dit, sera pu-
nissable toutes les fois que la victime avait le droit de
compter sur Pacte omis.
Le droit de libre initiative réservé h l'homme a ses avan-
tages, mais aussi ses dangers. Il Texerce à ses risques et
périls ; mais pour que cette proposition soit vraie, pour
qu'il puisse en toute liberté régler sa conduite au mieux
de ses intérêts, il faut qu'il soit fixé sur sa situation.
Quand il agit, il a à compter avec les forces naturelles tan-
tôt laissées à leur libre cours, que son expérience lui fait
connaître, tantôt modifiées par l'action et la volonté de ses
PRINCIPES DO DROIT FRANÇAIS 9i
semblables. Il faut que sur ce dernier point il soit égale-
ment renseigné.
Or ii sait qu'il ne doit point par des actions positives
troubler les autres hommes et que, dans la même limite,
ceux-ci ne peuvent point le léser. Il sait que, d'une façon
générale, il n'est tenu à aucun acte d'intervention en fa-
veur des autres, et que dès lors il n*a rien à attendre d'eux.
Mais il sait également que, dans certains cas spéciaux,
certaines person nés sont tenues à son égard d'actions,
résultant tantôt de dispositions générales de la loi, tantôt
de contrats, tantôt de quasi-contrats.
Tout ceci constitue à son égard le cours ordinaire des
choses. Et quand, usant de sa liberté, il décidera de sa con-
duite, il devra en tenir compte. Tant que ce cours ordi-
naire ne sera pas troublé vis-à-vis de lui, c'est-à-dire, tant
que les actes, qu'il sait ne pas devoir se produire, ne se
produiront pas, tant que les services auxquels il aura le
droit de s'attendre lui seront fournis, il ne doit pas se
plaindre, quelque mal qu'il souffre. 11 n'a pas à faire, ap-
pel à la protection ou à la vengeance de la loi. Le préju-
dice subi est la conséquence, et si je puis ainsi dire, la
rançon de sa liberté.
Mais si au contraire une action ou abstention a faussé à
son égard le mécanisme social, sa liberté de décision n'a
plus été entière, puisqu'il a raisonné en vue d'une situation
qui a été modifiée en de hors de lui. Dès lors, il ne doit plus
conservera sa charge exclusive le préjudice souffert. La
loi doit intervenir en sa faveur, il doit ôtre vengé.
92 CHAPITRE IX
Dans la première série d'hypothèses on rangera le cas
du nageur inexpérimenté qui se met à reau,sans s'assurer
quil y a, à portée, quelqu'un qui, en cas d'accident, soit
obligé de lui prêter secours ; le cas de celui qui possède des
matières inflammables et qui ne prend pas de précaution,
comptant sur la bonne volonté spontanée des passants, etc.
Si la mort survient, si l'incendie dévore la maison, les
victimes n'auront à s'en prendre qu'à elles-mêmes de leur
imprudence.
Il en sera tout autrement, si le nageur avait à proximité
quelqu'un qui, par ses fonctions, ou par une promesse
expresse ou tacite, fût obligé à lui venir en aide et si, avec
une intention criminelle, celui-ci s'abstient de le secourir.
Le cours ordinaire des choses, ce que Von Bar appelait
la Règle de vie, est troublé à l'égard du nageur ; la loi
doit intervenir préventivement pour le protéger et après
coup pour punir le coupable.
C'est qu'ici la victime n'a rien à se reprocher, puis-
qu'elle a fait preuve de prudence.
Prudence, imprudence de la part des victimes: tel est
en effet le critérium de punissabilité dans ce nouvel aspect
de notre système.
Mais cette proposition que nous venons de déduire de
notre théorie se rencontre avec un principe que l'on peut
induire de tous les textes de nos lois positives.
Nos codes se sont en effet inspirés en le modifiant, du
vieux proverbe : « Aide-toi, la loi t'aidera », telle est leur
formule.
PRINCIPES DU DROIT FRANÇAIS 93
Pour en avoir la preuve, il n*est pas besoin de se livrer
à une longue compilation, il suffit de feuilleter au hasard
nos codes.
En matière pénale, la théorie des vols simples et qua-
lifiés est entièrement basée sur cette préoccupation. Celui
auquel on soustrait un objet qu'il n'avait pris aucune
précaution spéciale pour garder est protégé par la loi.
Mais il le sera davantage encore et le coupable sera puni
de peine plus forte, s'il a été prudent, s'il a enfermé son
trésor sous clef, s'il Ta conservé dans la maison où il habi-
tait lui-même (art. 384, G. p.) et s'il n'a cessé de veiller sur
lui, qu'au moment où la nature et la nuit le condamnaient
au sommeil (art. 385, G. p.).
De même en matière d'escroquerie, celui qui a commis
l'imprudence de croire à une simple affirmation et qui en
a subi un préjudice pécuniaire n'est pas protégé, et l'ex-
torsion de la fortune d'autrui par mensonge n'est pas
pénalement réprimée. Si la victime s'est laissée, au con-
traire, déterminer par des manœuvres, elle n'a plus été
imprudente et la loi intervient en sa faveur ; le coupable
sera puni de peines portées à l'article 405 du Gode pénal.
Mais si elle a été plus prudente encore, si elle a exigé,
pour croire et pour ouvrir sa caisse, ce qui dans notre droit
constitue la preuve par excellence, un écrit, et si on lui a
présenté un écrit faux, la protection légale augmente et le
coupable sera puni de peines criminelles (i50. G* p.), qui
suivront une échelle ascendante, si la victime toujours
plus défiante a exigé un acte authentique ou s'est adressée
à un officier public.
94 CHAPITRE IX
Ces exemples, que Ton pourrait multiplier à Tinfini, ne
sont pas limités au domaine du droit pénal, on les retrouve
presque à chaque texte du Gode civil.
Nos lois ne sont pas tendres pour les imprudents, même
quand leur imprudence ne préjudicie qu'à eux-mêmes. Il
semble que la législation ait vu là comme une sorte de
délit civil.
On pourrait en citer comme nouveaux exemples, la
théorie des prescriptions, celle des déchéances, celle des
preuves, la situation faite à ceux qui ont omis de faire les
inventaires, dont la loi leur impose l'obligation, etc.
Tout ceci revient à dire que la loi impose à l'homme un
devoir général de prudence, ce qui est parfaitement en har-
monie avec le principe dont nous sommes parti : à savoir
qu'il n'a rien à attendre que de lui-même, et qu'il ne doit
compter sur les autres que dans les cas exclusivement où
une disposition spéciale de la loi, d'un contrat ou d'un qua-
si-contrat leur en impose à titre exceptionnel l'obligation.
Une pourra donc se plaindre des résultats d'une omission
qu'autant que l'acte omis rentrera dans cette catégorie.
*
1 •
Poursuivons d'un autre côté ce même travail de com-
paraison entre les résultats déduits et les résultats in-
duits, et revenons à notre point de départ.
L'homme, hors des cas exceptionnels que nous avons
maintes fois précisés, n'a rien à attendre de l'homme.
Ceci revient à dire que le devoir social de protéger la
PRINCIPES DU DROIT FRANÇAIS 95
liberté et la sécurité des citoyens, ne sera pas remis à
Tinitiative des particuliers, mais sera concentré entre les
mains de TEtat.
Cette proposition est-elle en harmonie avec les principes
du Code? Avant même que nous examinions les textes,
un argument historique nous permet de nous prononcer
hardiment pour Taffirmative. Si, eu effet, nous nous repor-
tons à la naissance du XIX"" siècle, au moment oii nos Codes
ont été rédigés, nous y rencontrons deux principes qui
dominent notre droit public et qui, bien qu'en apparence
contradictoires, se sont combinés pour donner son orienta-
tion à notre droit pénal. L'un est un principe de liberté,
Tautre un principe d'autorité. Quand nous parlons de
liberté, c'est, bien entendu, de liberté économique qu'il
s'agit.Dans le monde économique en effet,les idées d'Adam
Smith régnent sans partage. Le Code pénal est à peu près
contemporain de l'apparition des œuvres de J.-B. Say.
L'intérêt individuel est considéré comme le moteur indis-
pensable de la machine sociale. Le Code sera donc dominé
par des préoccupations individualistes.
Mais,d'autre part, pendant que le Conseil d'Etat prépare
le Code pénal, la main puissante de l'empereur s'appe-
santit sur le monde. A ce moment, l'Etat c'est Napoléon,
c'est-à-dire c'est tout. Le rôle de l'individu sera donc réduit
à bien peu de chose et nous devrons nous attendre à voir
les lois pénales dominées par un principe d'autorité.
Ainsi, nous pouvons le dire d'avance, le Code consa-^
crera, d'une part, les doctrines individualistes, en ne met-
96 CHAPITRE IX
tant qu'à titre exceptionnel des obligations actives à la
charge de Tindividu, et de l'autre les principes autoritai-
res, en donnant à TEtat le monopole des interventions
socialement nécessaires.
Cette conception sera, du reste, confirmée par Texamen
des textes et de notre organisation juridique tout entière.
Citons-en, comme exemple, cette institution tout particu-
lièrement française du ministère public. Le soin de veiller
à l'application des lois n'est point, chez nous, comme en
certains pays, remis à Tinitiative des particuliers. C'est
rÉtat lui-même qui, par Tintermédiaire d'un de ses orga-
nes, veille à ce que la liberté et la sûreté de l'individu ne
soient point troublées, et à ce qu'en tous cas les troubles
commis soient réprimés par la peine. C'est lui qui inter-
vient dans les conflits entre particuliers, toutes les fois
que Tintérèt général semble enjeu. Il est le défenseur des
faibles : enfants, femmes ou incapables ; et si nous voulions
sortir du domaine juridique, pour jeter un coup d'œil sur
notre organisation administrative, nous le verrions conti-
nuer partout ce même rôle, et revendiquer avec jalousie,
et comme un monopole, son droit à une exclusive interven-
tion.
*
Aussi, n'est-ce que dans des cas extrêmement rares, que
la loi fait appel au concours de Imdividu en lui imposant
une action déterminée ; encore cette exception au principe
PRINCIPES DU DROIT FRANÇAIS 97
général sera-t-elle toujours justifiée par des considérations
particulières.
Les cas les plus importants sont relatifs à la constata-
tion de Tétat civil et à la protection de Texistence de Ten-
fant. L'article 346 du Code pénal impose à certaines per-
sonnes, témoins d'un accouchement, Tobligation d'en faire
la déclaration à l'officier de l'état civil. L'article 347 du
même Code oblige celui quia trouvé un enfant nouveau-né,
aie remettre à Tofficier de l'état civil. A vrai dire, il y a
plutôt là une défense de garder l'enfant, qu'un ordre de
l'apporter.
On pourrait faire la même observation à propos du
crime d'abandon d'enfant (art. 349, 350, 351, 352 du
Code pénal, modifiés par la loi du 19 avril 1898) dans le-
quel on peut, en certaines circonstances, être tenté de voir
une omission.
Une seconde catégorie se rapporte à des prescriptions
relatives à des mesures d'hygiène, de salubrité, de voirie,
ordonnées tantôt parla loi (art. 471, 1® C.pén.), tantôt par
des règlements pris par diverses autorités pour l'exécution
de la loi.
Ces diverses exceptions au principe de l'abstention
facultative portent en elles-mêmes leur justification. Les
premières sont commandées par l'intérêt supérieur de
Penfance et de la société ; les secondes (obligation de
balayer son trottoir, de ramoner ses cheminées, etc.) sont
imposées à l'individu pour l'empêcher de compromettre
G. - 7
98 CHAPITRE IX
par ses négligences la santé de ses semblables. Nous ne
nous y arrêterons donc pas.
Mais il est une troisième catégorie d*actes prescrits par
la loi pénale qui, prenant très nettement le caractère
d'actes d'assistance, semblent devoir compromettre la
construction que nous avons tentée du lien et des devoirs
sociaux^ tels que les comprend le Code pénal. En réalité,
ils la confirment. 11 s'agit dos actes visés à l'article 475,
12'' du Code pénal, c'est-à-dire d'hypothèses où l'individu
peut être requis de prêter secours et assistance, soit pour le
rétablissement do l'ordre, soit pour Texécution d'un juge-
ment, soit même pour venir en aide à autrui. Ce sont les
cas de calamité publique, brigandage, pillage, flagrant
délit, exécution judiciaire. Le péril est imminent; il est
soudain ; il doit être immédiatement conjuré. La force
publique étant insuffisante, l'autorité fait appel aux ci-
toyens.
Cette disposition du Code peut s'expliquer empirique-
ment par Turgenco et l'intérêt du salut public. Mais nous
pensons que, même théoriquement, elle peut être justifiée.
L'État seul, avons-nous dit, a le droit et le devoir de ga-
rantir la liberté et la sécurité des citoyens. Il le fait par
divers organes, et pour sanctionner ses décisions, il a cons-
titué une force publique, toujours à sa disposition : c'est
hi police, pour la sûreté intérieure ; pour la sûreté exté-
rieure, c'est l'armée. Si le péril augmente, il peut accroî-
tre indéfiniment ces organes. Eu cas de guerre, il fera des
lovées en masse. C'est, sur une échelle bien restreinte, une
PRINCIPKS DU DROIT FRANÇAIS 99
mesure de la même nature qui est prise ici. Tout homme,
peut-on dire, fait en tant que citoyen éventuellement par-
tie de la force publique. Les réquisitions permises par l'ar-
ticle dont il s'agit ne sont donc pas une restriction à la li-
berté civile de l'homme, car elles s'adressent non pas à
l'individu, mais au citoyen.
C'est par un raisonnement semblable que l'on peut expli-
quer l'obligation d'assistance en mer. Ici aussi, l'action
de l'Etat réduit à ses organes ordinaires serait impuissante,
et c'est pourquoi, dans ce cas exceptionnel, les devoirs qui
normalement incombent à l'Etat, passent à la charge des
citoyens.
Toutes les dispositions dont nous venons de parler, ne
font donc en aucune façon échec à notre formule, que PE-
tat seul peut et doit fournir à l'individu protection et as-
sistance, mais bien au contraire, elles la confirment.
Nous pouvons donc conclure que les principes qui ont
présidé à la construction du Code sont, pour ce qui con-
cerne les devoirs actifs de l'homme, les mômes que ceux
auxquels nous avons abouti dans nos précédentes déduc-
tions de droit public.
CHAPITRE X
APPLICATION PRATIQUE DE LA FORMULE DE LA PUNISSAB1L1TÉ
DE LA COMMISSION PAR OMISSION.
Nous avons obtenu une formule générale, nous l'avons
vérifiée ; il va nous rcslor à la développer en pratique.
Mais d'abord y at-il réellement une application prati-
que à en faire ?
Les exemples de commission par omission que nous
avons cités sont nombreux, et ceux que nous aurions pu
imaginer encore sont innombrables; mais ils ont tous
quelque chose de faux, en ce qu'ils supposent parfaite-
ment connus l'intention et les changements d'intention
de l'omettant. Pour que nous puissions dire que le garde-
barrière, qui nous a tant servi, a commis un crime par
omission, en n'enlevant pas la pierre qui se trouvait sur
la voie, il faut que nous ayons la preuve qu'en omettant
cet acte de service, il prévoyait qu'il ferait dérailler le
train et que, ce faisant, il entraînerait la mort d'une ou de
plusieurs personnes. Bien que Thypothèse se présente un
peu comme une hypothèse de roman, en somme, elle peut
virtuellement exister dans la réalité. Mais une preuve
absolue, telle qu'un tribunal puisse l'admettre pour y
baser une condamnation, paraît difficile à concevoir.
APPLICATION PRATIQUE DE NOTRE FORMDLE 101
Plus difficile encore, serait cette preuve dans Thypo-
thèse classique du maître-nageur qui omet de sauver le
baigneur qui se débat dans les flots, et dans lequel il a re-
connu son ennemi. Les raisons qui motivent son absten-
tion peuvent être complexes : Tapathie, la peur de la
mort peuvent se combiner avec la haine. Peut-on admet-
tre qu'un juge humain puisse essayer de se reconnaître
dans cet enchevêtrement de mobiles, et tenter de démêler
l'intention dominante de l'omettant ?
Or ceci va s'appliquer à toutes les espèces que nous
avons imaginées, comme à toutes celles que nous pour-
rions combiner. La question va donc, nous Tavouonsavec
un peu de désappointement, se réduire presque entière-
ment à un exercice de casuistique pénale. Merkel, un des
auteurs allemands, qui ont le plus écrit sur la question,
avouait du reste qu'il n'existait pas, à sa connaissance, un
seul exemple d'omission dans laquelle les tribunaux, cons-
tatant Texistence d'une intention criminelle, aient pu re-
connaître une véritable commission par omission. Nous
ferons tout à l'heure la môme constatation pour la juris-
prudence française.
Malgré cette observation qu'il était nécessaire de faire,
notre étude, à défaut d'utilité pratique bien démontrée, con-
serve une part d'intérêt didactique suffisante, pour qu'elle
vaille la peine d'être continuée.
« «
Quelques observations préliminaires vont nous per-
102 CHAPITRE X
mettre de délimiter les crimes ou délits, qui peuvent être
commis par omission. Elles nous serviront à distinguer
la commission, de la complicité par omission, dont nous
aurons h nous occuper plus loin.
Pour qu'il y ait commission par omission il faut que
l'omettant ait par son abstention laissé agir les forces na-
turelles, qui ont provoqué le résultat; ce n'est qu'à cette
condition que l'omission sera causale. Si, au contraire,les
forces agissantes étaient dos forces humaines, c'est à celles*
ci que s'attacherait le lien do causalité, et l'omettant ne
pourrait être que complice, sous la réserve de ce que nous
verrons au chapitre suivant. Nous n'insisterons pas sur
cette distinction qui résulte de celle que nous avons établie
dans notre théorie de la cause, entre la causalité physique
et la causalité humaine.
Exemple : Je laisse noyer quelqu'un qui comptait sur
mon secours et que mon devoir était de sauver : mon abs-
tention est causale et je suis auteur principal ; mais au
contraire je laisse commettre un vol dans une maison que
je suis chargé de garder: c'est Tacte du voleur qui est cau-
sal ; c'est lui qui est auteur. Je ne serai que complice,
sauf, encore une fois, le point de savoir si l'on peut être
complice par abstention.
Nous n'avons donc à retenir que les résultats produits
par le jeu de forces naturelles, et par conséquent seule-
ment les crimes et délits contre les personnes. — Nous
y ajouterons, pour ôtre complet, les dégradations aux
propriétés privées et aux édifices publics, mais ces der-
APPLICATION PRATIQUE DE NOTRE FORMULE 103
nièrcs constituant soit des contraventions rc^gics par des
règlements particuliers, soit des quasi-délits qui relè-
vent du droit civil, nous pouvons donc les laisser de
côté.
Si maintenant nous comparons les résultats anti-juri-
diques susceptibles de constituer des commissions par
omission et ce que nous savons du caractère de celles-ci,
avec les dispositions de l'article 319 du Code pénal, nous
nous apercevrons que les omissions punissables, quand
elles sont inspirées par une intention criminelle sont
celles qui, si cetle intention faisait défaut, formeraient
les délits d'homicide ou de blessure par imprudence.
C'est ce que remarque M. le recteur Mentha dans Tinté-
ressante brochure que nous avons déjà signalée.
Nous avons établi d'autre part qu'il y aurait commis-
sion par omission punissable, toutes les fois que Tacte
omis serait celui que la victime avait juridiquement le
droit d'exiger, c'est-à-dire celui correspondant à une obli-
gation légale.
Ces obligations peuvent être imposées par: la loi et les
règlements, le contrat et le quasi-contrat.
Nous allons dire un mot de chacune de ces sources, en
nous aidant, pour déterminer les obligations qui en décou-
lent, des dispositions de Tarticle 319 du Code pénal et,
pour les cas douteux, de l'interprétation qui a été donnée
de cet article par la jurisprudence.
104 CHAPITRE X
» «
Au premier rang des obligations légales imposées à
rhomme parce texte, il faut placer un devoir général
d'attention. En faisant les actes permis, l'individu doit
veiller à ce que leur accomplissement n'ait pas comme
conséquence de léser autrui. C'est ainsi que le maçon qui
construit un mur doit prendre garde de ne pas blesser
les passants en laissant choir ses matériaux.
Si nous nous reportons aux méthodes de classification
allemande, ce groupe d'obligations correspond à la pre-
mière série des Omissivdelicie dans Glaser, à la seconde
dans Binding.
Nous supposons l'homme mettant en mouvement
une force qui, si on ne l'arrête pas, doit produire néces-
sairement un résultat déterminé ; il a le devoir de sur-
veiller son expansion et de la comprimer si elle devient
dangereuse pour quelqu'un. Si par négligence, il ne le fait
pas, il commet le délit de l'article 319 du Code pénal. Mais
si, en s'abstenant, il a eu en vue de provoquer la mort
ou la blessure de quelqu'un, il y a crime par omission.
Nous retrouvons ici l'exemple de Glaser, du conducteur
d'une voiture qui pousse en avant son attelage et, recon-
naissant son ennemi étendu au travers de la route, omet
d'arrêter ses chevaux, prévoyant qu'il va ainsi causer sa
mort.
La loi pénale prescrit aussi dans certains cas des actes
nositifs : ainsi l'article 471-1° du Code pénal commande
APPLICATION PRATIQUE DE NOTRE FORMULE 105
de réparer les fours, cheminées ou usines où l*on fait
usage du feu.
La violation de cette prescription pourra comprendre
trois degrés : violation simple qui sera punie d'une peine
•
contraventionnelle , violation entraînant un incendie
avec mort ou blessures qui sera punie des peines de l'ar-
ticle 319 du Code pénal, violation faite dans une intention
criminelle, et précisément en vue de causer cet incendie,
qui constituera le crime d'incendie par omission.
II faudra faire les mêmes distinctions à l'occasion des
obligations d'éclairage et de balayage imposées par Tali-
néa 3 du même article. Si quelqu'un laisse volontaire-
ment des ordures dans un endroit qu'un règlement l'obli-
geait à balayer, avec la pensée qu'un vieillard, dont il
guette la venue, pourra faire une chute mortelle, il y
aurait meurtre par omission, dans le cas où un accident
se produirait; sans cette pensée criminelle, il y aurait
simplement homicide par imprudence.
Il en sera de même pour toutes les prescriptions ordon-
nées par le Gode pénal aux articles 471 , 475 et spécialement
pour celles imposées par le paragraphe 12 de ce dernier
article, dont nous avons parlé dans le chapitre IX. Il
s'agit des réquisitions de secours faites en cas de cala-
mités. Nous avons dit que contrairement à l'opinion de
Faustin-Hélie et de Dalloz, nous pensions que si l'omet-
tant a eu spécialement pour but de provoquer la mort de
la victime, qu'il a refusé de secourir, il sera coupable du
crime de meurtre par omission.
106 CHAPITRE X
Parmi les textes impératifs du Gode, il en existe un,
qui, à l'inverse de ceux dont nous venons de parler, n'a
aucun rapport avec l'article 319 du Code pénal.
C'est l'article 346 du Code pénal qui impose sous sanc-
tion pénale, à toute personne ayant assisté à un accouche-
ment, l'obligation de faire la déclaration prescrite par
l'article 56 du Code civil dans les délais indiqués par larti-
cle 55 du même Code.
Lorsque ce défaut de déclaration aura été fait dans une
intention criminelle et dans le but de permettre une
suppression d'enfant (art. 345, C, pén.), pourrait-il consti-
tuer un crime de commission par omission ?
Une controverse s est élevée sur ce point entre Carnot
et Faustin-Hélie.
Le premier pense « que celui qui, contrairement à ces
articles, a omis de déclarer un accouchement auquel il
était présent pourrait, lors même qu'il n'aurait pas coopéré
activement à l'enlèvement ou à la suppression de cet en-
fant, être passible des peines portées par l'article 345 du
Code pénal, s'il était constaté qu'il eût sérieusement favo-
risé par son silence l'accomplissement du crime ». Faustin-
Hélie (n* 370) combat cette opinion. Il ne pourrait, dit cet
auteur, y avoir jamais que complicité; or, la complicité ne
saurait se produire par abstention.
Il nous apparaît que Carnot se trompe, faute de faire
une distinction. Siledéfautdedéclarationémanedocelui-là
même qui se propose de commettre le crime^ du père par
exemple, elle pourra évidemment, par application de notre
APPLICATION PRATIQUE DE NOTRE FORMULE 107
théorie» constituer une commission par omission. Mais,
dans l'hypothèse même choisie par l'auteur, et en vertu de
la distinction que nous avons faite, au début même de ce
chapitre, entre l'auteur principal et le complice, nous
ne pouvons que nous ranger à Topinion de M. Faustin-
Hélie.
L'obligation juridique mise à la charge de l'individu
peut encore résulter du contrat. Ce contrat peut être, nous
lavons dit, soit un contrat administratif, soit un contrat
de droit privé.
Les contrats administratifs sont ceux on vertu desquels
un individu prend en charge un service et s'oblige à ac-
complir certains actes. C'est à ce propos que Binding
imaginait un équilibre entre les conditions positives et
négatives de l'arrivée du résultat, et que Von ^wn suppo-
sait que l'omettant supprimait la force secourable qui
était en lui prête à agir. Dans cette catégorie se range
l'exemple, dont nous avons peut-être un peu abusé, du
garde-barrière qui omet d'enlever la pierre se trouvant
sur la voie. 11 est hors de doute, que, dans le cas où cette
omission entraîne une mort ou des blessures, il y a homi-
cide par imprudence; une longue série de jugements est
intervenue dans ce sens, et leur unanimité rond toute
citation inutile. En continuant à appliquer notre propo-
sition, nous dirons que toutes les fois qu'il s'y joindra une
prévision consentante du résultat, il y aura commission
criminelle.
108 CHAPITRE X
Nous devons dire la même chose des obligations pure-
ment contractuelles du droit privé.
Lorsque leur violation aura entraîné mort ou blessures,
il y aura homicide par imprudence. Ceci est également
consacré par de nombreux arrêts, dont Tun nous parait
devoir être cité à cause de la précision de ses termes.
Il s'agissait d*un voyageur qui, privé de soins, était mort
à la suite de l'abandon dont il avait été l'objet, après son
admission dans une hôtellerie : En ce cas, dit l'arrêt, le
maître du lieu est tenu d'une véritable obligation con-
tractuelle qui lerend passible à la fois de la répression ci-
vile de l'article 1382 du Code civil et de la peine édictée
par l'article 31 9 du Gode pénal (Lyon JOnov. 1858etCrim.
rej., 7 janvier 1859).
De nombreux arrêts ont également prononcé les peines
de ce dernier article dans le cas de refus de soins, ou de
soins donnés à la légère, par des médecins, des gardes, des
nourrices.
Il est donc certain que toutes les fois qu'en vertu d'un
contrat, de quelque nature qu'il soit, quelqu'un se sera
refusé à accomplir un acte, et que, par suite de l'omission
de cet acte, une mort s'en suit, il y a homicide par impru-
dence.
Aucune controverse ne s'élève sur ce point, et nous
n'avons qu'à en tirer les mêmes conclusions que précé-
demment, relatives à la commission par omission.
APPLICATION PRATIQUE DE NOTRE FORMULE 109
*
* *
Au point de vue de la naissance des obligations, le Code
civil assimile le quasi-contrat au contrat. Nous devrons
donc répéter à Toccasion de celui-ci tout ce que nous
venons de dire dans le paragraphe qui précède.
Qu'est-ce que le quasi-contrat ? « C'est, dit le Code civil,
le fait, purement volontaire de l'homme, dont il résulte
un engagement quelconque envers un tiers » (art. 1371,
Civ.). C'est, si nous voulons nous reporter aux théories aile-
mandes,ce que Glaser entend quand il parle de « l'attitude
d'un homme qui peut faire naître chez les autres la con-
viction qu'il interviendra pour détourner un danger ».
L'hypothèse est celle-ci : un nageur expérimenté va au
bain avec un ami plus novice ; un homme mûr sort
avec un enfant en bas-âge ; un individu valide conduit
un infirme. Dans tous ces cas l'attitude du fort permet
au faible de compter à bon droit qu'il sera secouru, et
met à la charge du premier une obligation. S'il la viole,
si cette violation entraîne les conséquences prévues par
l'article 319 du Code pénal, celui-ci sera applicable.
Citons à ce sujet un arrêt rendu par la Cour d'Aix, le
29 juin 1871 (D. P. 72.2.190), qui déclare que le fait
d'avoir, « par un froid rigoureux, emporté sans précaution
un enfant », constitue, si l'enfant meurt, un homicide par
imprudence.
Dans ces différents cas s'il y avait eu intention défaire
1 1 CHAPITRE X
périr les victimes, il y aurait éYidemment commission
par omission.
*
Nous avons ainsi terminé le développement pratique
de notre formule de la punissabilité de la commission par
omission .
11 nous resterait, pour être complet, à indiquer les dé-
cisions de jurisprudence qui appuient ou combattent
notre système.
Gomme Merkel, dans le passage auquel nous faisions
allusion au début de ce chapitre, nous devons avouer
qu'il n^en existe pas.
Cet aveu n*a point découragé Tauteur allemand et n'a
point arrêté ceux qui sont venus après lui.
Notre foi est peut-être moins robuste, car cette consta-
tation nous désappointe quelque peu.
Peut-être pourrait-on souhaiter que la Cour suprême
trouvât l'occasion de trancher le principe de la commis-
sion par omission, de telle sorte que les juges puissent,
dans les cas oil l'intention ne saurait être douteuse, si très
exceptionnellement il s*en présente, prononcer des peines
supérieures à celles de l'article 319 du Code pénal, par
Tapplication de la théorie de la commission par omission.
Rappelons, à ce sujet, certains cas d'enfants martyrisés
par des parents, dont l'intention criminelle apparaissait
évidente, que notre théorie eût permis, au moins, de
qualifier de tentative de meurtre et qui cependant n'ont
pu, malgré les protestations de la conscience publique,
être punis que de peines correctionnelles.
CHAPITRE XI
MODALITÉS DE LA COMMISSION PAR OMISSION
Nous avons admis que le délit de commission par omis-
sion serait punissable toutes les fois que Ton rencontre-
rait en lui les trois éléments qui constituent la punissa-
bilité de la commission simple : c'est-à-dire causalité,
volonté consciente, omission d^un acte commandé.
Mais ces éléments peuvent ne pas coexister ; la dispari-
tion de chacun d'eux modifiera l'aspect et la punissabilité
de Tacte et constituera « les modalités de la commission
par omission ». — Chacune de celles-ci pourrait donner
matière à un travail plus considérable que le nôtre, aussi
nous bornerons-nous à faire une énonciation rapide de
diverses hypothèses. Dans certains cas cependant la diffé-
rence de construction entre le délit de commission simple
et celui de commission par omission sera de nature à
modifier, pour ces derniers, la physionomie de la causa-
lité ; nous devrons alors insister un pou davantage.
Occupons-nous d'abord de l'absence de causalité. Il
S'agit bien entendu ici de la causalité de fait et non de la
causalité de droit de Pomission, que nous avons défini-
tivement admise. Nous supposons que l'omission ne pou-
vait pas produire le résultat criminel. Une garde a, avec
i 1 2 CHAPITRE XI
une intention criminelle, omis de donner des soins à un
malade, mais ces soins n'auraient pu ni prolonger ni
conserver ses jours. Un père a, dans le but d'entraîner sa
mort, omis d'enlever des mains de son enfant une matière
quMl croyait vénéneuse et qui était inoffensive.
Ceci correspond àcequ'on appelle, en matière de commis-
sion, le crime impossible. La jurisprudence admet, d'une
façon générale, qu'il n'est pas punissable, sous réserve de
distinctions entre Vimpossibilité absolue et V impossibilité
relative. Mais une doctrine moderne, représentée par des
maîtres éminents, pour lesquels « en droit pénal c'est de
plus en plus le point de vue subjectif qui doit remporter,
et Tagent, dans sa nature morale, qui doit être jugé et
apprécié » (1), tend à restreindre de plus en plus le cer-
cle de Timpunité. Nous n'avons pas à prendre parti dans
cette controverse, mais quelles qu'en soient les Cvonclu-
sions, elles devront être également appliquées à notre ma-
tière de la commission par omission.
*
* «
Mais il peut arriver que l'omission, causale en fait de
sa nature , n'ait pas, par suite d'une circonstance indé-
pendante de la volonté de l'omettant, produit le résultat
que celui-ci en attendait. Ainsi dans les divers exemples
que nous avons cités plus haut, une autre garde a soigné
(1) Saleilles, Les accidents du travail, Rousseau, 1897, n<> 3. — Sur
la question de la tentative irréalisable, cf. Saleilles : Essai sur la ten-
tative, Revue pénitentiaire , 1897, p. 53.
I
I
MODALITÉS DE LA COMMISSION PAR OMISSION 1 1 3
le malade, l'enfant a jeté le poison ou un tiers le lui a
arraché des mains. C'est la théorie de la tentative : sans
^ j creuser la question jusqu'au fond, nous devons cependant
nous y arrêter un peu davantage.
Les raisons de punir la tentative en matière d'omission
ou en matière de commission sont à peu près les mêmes,
et les règles à appliquer seront identiques. En général, la
tentative est punissable, lorsqu'elle est manifestée par un
commencement d'exécution, ce qui à propos de l'omission,
n'a pas grande importance, et lorsqu'elle n'a manqué son
effet que contre la volonté de son auteur(1 ).Mais en matière
d omission, la façon dont le délit est commis multiplie et
complique quelque peu les hypothèses. La phase d accom-
plissement va durer aussi longtemps que l'omettant au-
rait pu agir pour empêcher le résultat.
A quel moment Tintention va-t-elle se transformer en
tentative punissable? En appliquantes principes généraux,
nous répondrons : en principe, à partir de l'instant où il sera
trop tard pour intervenir. Voici un maitre-nageur qui suit
du rivage les ébats d'un baigneur, qu'il voit se fatiguer.
Celui-ci l'appelle à l'aide, sans qu'il réponde d'abord ;
mais il a l'intention d'agir plus tard et il agit en effet. Il n'y
a,bien entendu, ni omission délictuelleni tentative, malgré
son abstention première.
Mais la situation serait plus délicate, si dans l'hypothèse
qui précède, le maître-nageur, croyant avoir le temps d'in-
(i) Sur la tentative, cf. la très intéressante thèse de M. Gallet, Rous«
seau, 1899.
G. -8
1 1 4 CHAPITRE XI
torvonir, s'était on effet jeté à l'eau trop tard. On admet
généralement que, bien qu'objectivement le résultat ait
été produit par son omission voulue, il n*y aura ni crime
ni tentative. II pourra y avoir imprudence, si dans ses cal-
culs sur une possibilité postérieure d'intervention, il s'é-
tait grossièrement trompé. En revanche, si l'omettant s'abs-
tient avec la pensée que, plus tard, il sera trop tard pour
intervenir ou la ferme résolution de ne pas le faire, alors
mémo que par l'effet d'un hasard heureux, la victime ait
été réellement sauvée, il y aura tentative punissable, à
partir du moment où les possibilités premières d'interven-
tion auront disparu.
Mais si le fait sauveur devient de nouveau possible, et
si Tomettant profitant de cette circonstance et changeant
de volonté empoche le résultat, la punissabilité antérieure
sera effacée par les effets de ce repentir. Le nageur avait
été emporté par les flots hors de tout secours humain, le
crime de l'omettant semblait accompli, ou tout au moins
il y avait à sa charge une tentative punissable. Mais voilà
qu'une vague ramène la victime à portée du rivage, le
maître-baigneur saute à Teau et la sauve.
La tentative primitive reste acquise, puisqu'elle n'a
manqué son effet que par une circonstance indépendante
de la volonté de son auteur; mais la punissabilité dispa-
raîtra par suite de l'application de la théorie du repentir
actif. Nous savons que celui-ci n'efface la faute qu'en tant
qu'il intervient d'une façon assez efficace pour en faire
disparaître les conséquences. Je jette un homme à l'eau ;
MODALITÉS DE LA COMMISSION PAR OMISSION 115
à peine est- il tombé que je me précipite pour le sauver ;
si j'arrive à temps et si je le sauve en effet, je ne serai
pas puni, si au contraire mon acte de dévouement posté-
rieur est inutile, je suis coupable de meurtre.
Nous n'avons pas à discuter le principe môme de cette
théorie, nous n'avons qu'à en considérer l'application.
Elle nous conduit à admettre que, dans le cas d omission,
si le résultat n'a pas été empoché, l'omettant sera meur-
trier malgré son dévouement tardif. Cette solution est
peut-être rigoureuse, elle consisterait à mettre sur le même
pied celui dont la volonté permanente a condamné par une
omission prolongée, et sans regret, sa victime à la mort, et
celui qui par un mouvement de repentir a cherché, quoi-
que en vain, à effacer sa faute, en exposant sa vie.
Pour justifier cette solution, au reste logique, Landsberg
fait observer que la même objection se présente, quand il
s'agit de la commission simple etdans Thypothèse quenous
avons citée plus haut. C'est la solution contraire qui cho-
querait l'équité. On tire, dit-il, à quelqu'un, une balle
dans le cœur, ou on le pousse à Teau avec la faculté de le
retirer, mais avec la conviction ferme qu'on ne le retirera
pas pendant les minutes où cette intervention est possi-
ble. C'est la même chose au point de vue de la causalité
ou de la criminalité. Pourquoi donc faire une faveur au
dernier criminel, et lui permettre d'effacer sa faute par un
acte demeuré inutile?
Je sais bien que l'on va aboutir à ce résultat choquant
de faire dépendre la criminalité ou la punissabilité d'un
1 16 CHAPITRE XI
acte positif ou négatif, d'un résultat indépendant de la
volonté de Tagent. Oui, mais la faute en est à la théorie
du repentir actif, que nous n'avons ni à défendre ni à cri-
tiquer, et qui en réalité s'explique plutôt par des considé-
rations empiriques que par des déductions de logique pé-
nale.
m
On peut synthétiser les solutions de ces diverses hypo-
thèses dans les deux propositions suivantes.
Celui qui s*abstient, pensant sans imprudence avoir
encore le temps de sauver, ne commet ni faute ni tenta-
tive, quel que puisse être le résultat de son inaction.
Celui, au contraire, qui s'abstient sans intention mau-
vaise et qui persiste dans cette attitude, jusqu'au moment
où la possibilité primitive d'agir a disparu, a, dès ce mo-
ment, commis au moins une tentative punissable; cela
serait vrai, môme si des circonstances favorables d'inter-
vention se présentaient dans la suite, s'il en profitait pour
agir et s'il sauvait la victime, sous réserve de l'application,
en pareil cas. des principes du repentir actif (1).
(1) Landsberg semble admettre une solution plus rigoureuse encore
et qui nous paraît contraire aux principes généraux sur la matière. li
déclare quMl y a tentative punissable acquise^ dès que celui qui omet
de sauver, le fait avec l'intention de ne pas intervenir dans la suite,
même si la phase d'intervention n'est pas close, s'il y a encore possibi-
lité d'agir et si, par un changement d'attitude, il en profite. 11 donne
l'exemple suivant: « Je suis gardien de bains, dit-il, et je veux sauver
quelqu'un que je vois au loin flottant sur les vagues, seulement quand
il aura nagé un peu plus près du bord, alors qu'en me donnant un
peu de peine, je pourrais déjà le sauver ; je le sais, je sais aussi que
jusque là il ne sera pas noyé. 1*' stade innocent.— Je reconnais en lui
mon ennemi ; je décide d'omettre de le sauver et je me propose sa
MODALITÉS DE LA COMMISSION PAR OMISSION i 1 7
Ces principes permettront de résoudre les diverses com-
plications résultant de renchevètrement des changements
d'attitude de l'omettant avec la survenance de nouveaux
moyens de secours.
Ces questions au surplus ne présentent d'autre intérêt
que leur curieuse subtilité, car il est impossible de les
imaginer se posant dans la pratique. Elles supposent en
effet l'appréciation non pas d'une attitude, mais d'un
changement d'intention qui rarement se manifestera au
dehors avec assez de netteté pour que les juges puissent
le retenir comme élément de leurs décisions.
Le second des éléments qui constituent la punissabilité
d'un acte positif ou négatif, c'est la prévision du résultat.
Lorsqu'une action ou une omission a produit un résul-
tat nuisible, sans vouloir conscient de la part de l'agent, il
n y a pas crime, mais la loi retient cependant, quand les
conséquences en sont graves, un délit d'ordre inférieur,
quand il y a eu imprudence, négligence ou violation des
règlements publics ou privés.
Ici il n'y a point de difficulté à assimiler les commis-
sions simples aux commissions par omission, puisque cette
assimilation résulte non seulement de la démonstration
mort : 2« stad^. 1" changement, tentative de meurtre. — Je le vois se
débattre. Un sentiment d'humanité l'emporte en moi, je tente de le
sauver : 3* stade. 2* changement et selon que le sauveteur réussit ou
non, exclusion ou arrivée de la pénalité, n Landsberg, loc. cil.
1 18 CHAPITRE XI
que nous avons fournie dans les chapitres qui précèdent,
mais encore d'un texte formel de la loi à propos de Thomi-
cide par imprudence. L article 319 met sur la môme ligne
l'action et l'omission (cf. le chapitre précédent). On sera
plus souvent encore imprudent en omettant qu'en agis-
sant, et au surplus, on peut dire que la maladresse,
l'imprudence et l'inattention sont en réalité l'omission
de l'attention qui constitue un devoir juridique imposé
par la loi.
Nous avons fait du reste observer ailleurs que c'est
précisément la facilité que les tribunaux ont rencontrée à
appliquera l'omission, qui leur paraissait punissable, les
dispositions de l'article 319, qui a détourné la doctrine et
la jurisprudence française de la construction d'une théorie
spéciale de la commission par omission. Gomme en ma-
tière d'abstention, l'intention criminelle ne pourra en fait
être jamais démontrée, il paraissait suffisant d'avoir un
texte qui permît de punir le résultat antijuridique. De
tout ceci, il résulte donc que les principes généraux qui
régissent les délits commissifs d'imprudence doivent s'ap-
pliquer également aux délits omissifs et que nous n'avons
pas à nous livrer à un examen spécial à leur propos (1).
*
Ainsi que nous l'avons établi plus haut, il ne suffit pas,
pour qu'un fait soit punissable, qu'il y ait causalité, c'est-
à-dire résultat produit, qu'il y ait même de la part de
(1) Sur le délit d'imprudencp, cf. Sauvard, Rousseau, 1899*
MODALITÉS DE LA COMMISSION PAR OMISSION 119
l'agent prévoyance criminelle de ce résultat, il faut en-
core que Tacte accompli soit défendu ou Tactc omis, com-
mandé.
Pour ne parler que de l'omission, ce travail entier a ou
pour but de démontrer que si cet « acte omis » ne consti-
tue pas une obligation légale, quelque graves qu'en puis-
sent être les résultats, quelque criminelle qu'ait pu être
l'intention de l'omettant, il y aura assurément une viola-
tion d'un devoir de conscience, mais la commission par
omission ne tombera pas sous le coup de la loi pénale*
Nous avons également déterminé en théorie et en pra-
tique quel était le critérium qui permettait de distinguer
les actes d'intervention imposés à Thomme en morale
pure, de ceux qui constituaient Taccomplissement d'un
devoir juridique. Nous n'avons donc pas à revenir une
seconde fois sur ce sujet.
Il nous reste un dernier point à considérer, c'est la com-
plicité en matière de commission par omission.
Cette question peut elle-même se dédoubler.
On peut se préoccuper, soit de la complicité par abs
tention, soit de la participation à une commission par
omission.
Dans le premier cas, nous supposons quelqu^un assis-
tant à un crime qu'il n'empêche pas, quand il pourrait le
faire, ou qu'il ne dénonce pas, quand il le connaît.
Le second comprendra, par exemple, Thypothèse de
120 CHAPITRE XI
quelqu'un promettant de l'argent h une garde pour la dé-
terminer à ne pas donner ù son malade le m<^dicament qui
doit le sauver.
Le premier point a été discuté dans Tancien droit. Nous
avons vu que c'était surtout à son propos que les anciens
auteurs avaient étudié le problème de la commission par
omission. Ils avaient admis que le non-empèchement et la
non-révélation d'un délit n*étaient punissables que dans
le cas où celui qui s'était abstenu avait le devoir légal de
Tempécher.
La doctrine et la jurisprudence moderne sont absolu-
ment fixées à ce sujet, u La coopération », dit Garraud
(t. II, p. 387), doit se manifester par un acte positif, de
telle sorte qu'on ne peut être incriminé comme se ratta-
chant à une infraction par cela seul qu'on s'est abstenu
de l'empêcher. >»
Dès lors, il ne saurait y avoir de complicité ni par suite
de non-révélation, ni par suite de non-empêchement. Car-
rara [Programme, 463) se prononce dans le même sens et
déclare qu'il n'y a pas a complicité véritable là où il n'y a
ni concours daction ni concours de volonté ».
C'est, du reste, une application du principe que nous
avons théoriquement dégagé soit du droit public, soit de
notre législation et d'après lequel l'Etat se réservant le
monopole de la protection et de la sûreté de l'individu
n'a à commandera personne d'intervenir, en cas de crime
ou de délit et dégage môme de toute obligation à ce sujet
ceux à qui incombe d'une façon générale un devoir de
proloction, tels que les père ou tuteur.
MODALITÉS DE LA COMMISSION PAR OMISSION 121
Cette proposition est adoptée par la plupart des législa-
tions modernes.
Cependant, divers codes, tout en admettant le principe
de non-complicité, font de la non-révélation ou du non-
empêchement d*un crime un délit spécial d'adhérence
(Code autrichien, art. 5i-55; Code napolitain, art. 144;
Code du Tessin, art. 108 ; Code portugais, art. 8).
Cette doctrine fort ancienne, dont le principe remonte,
nous l'avons mentionné, à Platon et aux écrivains chré-
tiens des premiers siècles, combattue par Montesquieu et
Beccaria.a trouvé des défenseurs modernes: Hencke^CErs-
ted, Kœnigwater, Bonneville (1).
Ces décisions et ces opinions sont fondées parfois sur
des considérations de pratique pure, parfois sur une idée
de « solidarité défensive des membres de la société » dont
la discussion se rattache à Tétude du concept social que
nous avons faite plus haut.
« «
Nous arrivons maintenant à la complicité proprement
dite, c'est-à-dire & la participation d'un tiers à un crime
de commission par omission.
En principe, la situation sera la même que dans la com-
mission simple. .
11 y aura à faire les mêmes distinctions entre les co-au-
teurs et les complices. Seront coauteurs, deux gardes-bar-
(1) De i^ amélioration de la loi criminelle ^ 1. II, p. 670.
122 CHAPITRE XI
rières, qui, avec une volonté criminelle, s'entendront pour
ne pas enlever la pierre qui se trouve sur la voie. Sera
complice celui qui, dans la même hypothèse et pour faci-
liter le résultat criminel, aura détourné l'attention d'un
autre employé qui aurait pu apercevoir l'obstacle.
Il faudra bien entendu qu'il y ait entente criminelle,non
seulement en vue de Tomission mais encore en vue du
résultat. C'est-à-dire que celui qui, par exemple, aide un
aiguilleur à s'absenter au moment du passage du train,
doit non pas avoir simplement en vue de faciliter une faute
de service, mais encore prévoir et accepter la catastrophe
et la mort qui pourra être la conséquence du défaut d'ai-
guillage.
Remarquons bien qu'il faut qu'il y ait entente et non
pas seulement pensée identique. Deux maîtres-nageurs
qui regardent un malheureux tombé à l'eau se débattre et
qui sont individuellement décidés à le laisser mourir, ne
sont pas complices et ne sont même pas co-auteurs s'ils
ignorent respectivement leur présence. Ils se rendent cou-
pables de crimes ou de délits tout à fait distincts. Mais s'ils
se savent l'un et l'autre présents, il pourra très bien se
faire que,malgré la résolution de chacun de ne pas sauver
la victime, ils ne soient criminels ni l'un ni l'autre, si
chacun comptait sur l'intervention de son collègue.
La complicité dans la commission par omission peut
également se présenter par aide et assistance, par recel
ou par provocation.
Sur ce dernier mode, il y a une observation curieuse
MODAUTÉS DE LA COMMISSION PAR OMISSION 123
à faire. L^hypothèse est simple. Quelqu'un détourne à prix
d'or notre maitre-nagour de sauver un homme qui se
noie. Pour nous l'auteur du crime est le maître-na-
geur, le corrupteur n'apparait que comme complice. Mais
si nous appliquons les théories allemandes de la pre-
mière période, celles qui font remonter la causalité au
fait antérieur, nous devrions renverser les rôles. Le cor-
rupteur sera auteur principal et le corrompu complice,
c'est ce qui résulte très nettement d'un passage de Buri
{loc. cit.).
Pour le surplus, toutes les théories el toutes les con-
troverses relatives à la complicité en général s*appliquent
en matière de commission par omission et il nous suffit
d'y renvoyer (1).
(1) Pour toutes les théories générales relatives à la complicité, que
nous avons volontairement laissées de côté, comme ne rentrant pas dans
notre sujet, cf. la thèse de Thibierge. Rousseau, 1898.
CONCLUSIONS
L.es conclusions auxquelles nous avons abouti ont pu
paraître dures à quelques-uns et on peut leur faire une
objection de morale pratique, qui n'est pas sans une part
de vérité.
«f Voire système, peut-on nous dire, repose sur la re-
connaissance d'une double série d'obligations, les unes
sanctionnées par la loi positive, les autres par la loi natu-
relle ou divine. »
(( Il suppose, dès lors, un état social où tout le monde
accepte l'existence de ces deux aspects du devoir humain.
Alors rien de mieux. Au-dessus de la loi obéie,nous voyons
la vertu pratiquée. Le devoir d'assistance sera d'autant
mieux rempli, qu'il le sera librement. Mais c'est là une
conception idéale qui s'éloigne de plus en plus de la réa-
lité. Ils sont déjà nombreux les hommes en qui la cons-
cience est muette, qui en fait de devoirs ne connaissent
que ceux que la loi impose ; et leur nombre va toujours
grandissant. Du reste, qu'il soit majorité ou minorité^peu
importe ! « Vous n'en arrivez pas moins à mettre dans le
combat de la vie votre homme idéal, votre vir 6onti^,dans
une situation d'infériorité, vis-à-vis do l'homme légal. Les
hommes ne sont pas liés les uns aux autres d'une manière
égale . Le contrat social devient un contrat léonin. »
1 26 CONCLUSIONS
Voilà l'argument. Dans ce système il faudrait done que
la loi pénale imposât à tous ce que la voix de la conscience
n'obtient plus que de quelques-uns, et il semble d'ailleurs
qu'un mouvement législatif tende à se produire dans ce
sens.
Nous avons déjà dans le chapitre sur les modalités de la
commission par omission fait allusion à un ensemble de
dispositions législatives qui, mettant à la charge de cha-
que individu un devoir civique d'empêcher les crimes,
semblait faire un pas en avant dans la voie de l'assistance
légalement obligatoire. Le rapport de la commission
chargée d'élaborer le projet de Code portugais se rattache
très nettement à cette idée de « solidarité défensive des
membres de la société (1) ».
Le projet de Gode pénal norwégien assimile au point de
vue de la commission des crimes, Taction et l'omission et
fait un délit spécial de la violation de certaines obligations
naturelles (2).
(1) Rapport de la commission, chap. VII.
(2) Projet de Code pénal norwégien {Bulletin de V Union de droit pé'
naïf 1898, appendice).
(( § 4. Le mot Handlung^ dans le sens de ce Gode, comprend aussi
l'omission, à moins que le contraire ne soit formellement exprimé ou
ne résulte du contexte.
§ 40* 2^ Une contravention qui consiste dans une omission est pu-
nie, même si elle est commise par négligence, à moins que le contrûre
ne soit formellement exprimé ou supposé indubitablement :
§ 139. Est puni d'amende ou de prison jusqu^à 1 an, celui qui omet
de dénoncer certains crimes projetés, punis par les § 83, 84, 86, 98, 99,
100 etc. ou leurs suites, quoiqu'il ait eu connaissance du projet ou du
crime commis, à une époque où il pouvait empêcher le crime ou détour-
CONCLUSIONS 127
Le Code de Livingstone admet très nettement l'exis-
tence du devoir d'assistance (1).
Quoi qu'il en soit,ii n'y a là qu'un mouvement embryon-
naire ; est-il destiné à se généraliser et faut-il souhaiter
qu'il se généralise ? Telle est la question que nous voulons
étudier en terminant.
*
Si toutes les doctrines sont en général unanimes à re-
connaître que l'humanité va se modifiant, sans cesse, à
travers les âges, elles sont loin d'être d'accord sur le sens
dans lequel s'opère cette évolution.
Les individualistes estiment que des lienssociaux étroits
sont comme des lisières nécessaires pour proléger les pas
incertains de l'enfance d'une société, mais qu'ils devien-
nent inutiles et gênants pour l'humanité arrivée à une
période de développement plus élevé. Dès lors le progrès
va consister dans Taffranchissement progressif et indéfini
de l'individu. Ce qu'il faut, c'est que l'homme puisse li-
brement exercer son initiative, épanouir ses forces, et que
dans la société humaine, comme dans le reste de l'univers
animé, rien ne vienne gêner l'application de la loi natu-
relle de la lutte pour la vie.
nerses suites.
§ 240. Esl puni de prisoa ou d'amende le père qui refuse ses soins à
la mère naturelle et est cause que celle-ci, par dénuement, commet un
crime contre Penfant. »
(1) Est punissable : celui qui voit un aveugle aller à un précipice, un
enfaut prendre une coupe de poison ou sur le point d'être écrasé par
une voiture et qui ne les empêche pas (art. 484-485).
1 28 CONCLUSIONS
Avec un semblable idéal il est évident que les indivi-
dualistes ne doivent pas songer à augmenter le nombre
des devoirs actifs légalement sanctionnés, et à étendre le
cercle des commissions par omission punissables.
Ces doctrines, apparues à la fin du XVIII* siècle, ré-
gnaient sans partage au commencement du nôtre. Si leur
triomphe a été rapide, il a été éphémère ; aujourd'hui elles
croulent de toute part et ce sont les idées opposées qui
semblent triompher.
11 semble que l'avenir appartienne à des théories, dif-
férant à Tinfini, quant à leur forme ou à leur programme,
mais ayant toutes, comme marque commune, une idée de
solidarité sociale.
C'est cette idée qui constitue pour elles, la loi de Tévo-
lutionhumaine ; le lien qui unit l'homme à Thomme doit
devenir de jour en jour plus étroit, et à chaque étape de
l'humanité dans la voie du progrès social doit corres-
pondre une augmentation des devoirs de chacun envers
ses semblables.
Est-ce que cette évolution doit avoir comme corollaire,
une modification parallèle en droit pénal dans le sens
d'une extension du cercle des commissions par omission
punissables ?
Peut-être, si se plaçant au point de vue du matérialisme
pur, on ne voit dans le progrès humain que l'application
d'une loi physique qui tend à faire des cellules humaines
un agglomérat de plus en plus compact, et si le devoir n'a
d^autre expression et d'autre sanction que la loi. Mais si,
CONCLUSIONS 1 29
comme nous, on se refuse à admettre que les manifesta-
tions de la raison et de la conscience ne correspondent
qu'à des combinaisons physiques ou chimiques ; si Ton
veut voir dans l'homme un être privilégié et distinct du
reste de l'univers, si Ton considère que de tous ses attri-
buts le plus précieux c'est la liberté, c'est-à-dire le droit
de faire spontanément le bien, c'est autrement que le
problème se pose et c'est à ce point de vue que nous
allons l'envisager.
Certes, nous croyons, nous aussi, l'humanité indéfini-
ment perfectible et poursuivant à travers les siècles, sans
savoir si elle l'atteindra jamais, un état idéal où la loi de
fraternité proclamée par une voix divine, deviendra une
vérité sociale.
Mais nous n'estimons pas que ce soit à la loi pénale de
marquer les étapes de cette marche en avant et de stimu-
ler les retardataires.
Nous nous sommes efforcé de démontrer que cette loi
ne devait avoir pour but, que de maintenir la liberté hu-
maine, et l'équilibre entre les expansions individuelles.
Les obligations qu'elle impose constituent, au moins
dans leur principe, un minimum intangible.
Nous avons dit également qu'au-dessus de ce minimum,
se plaçait un ensemble d'obligations indéfiniment exten-
sibles, à propos desquelles l'initiative humaine conservait
sa spontanéité.
C'est dans cette sphère que le progrès social fait sentir
son action. C'est la seule loi de la conscience qui dicte à
G. — 9
1 30 CONCLUSIONS
rhomme la mesure dans laquelle existent et augmenteat
ses devoirs envers ses semblables.
Tout cela, nous Tavons déjà établi, ou tout au moins nous
sommes-nous efforcé de le faire. Il ne nous reste donc
qu'à répondre à Tobjection, que nous nous posions à nous-
mème en commençant ce chapitre.
Est-il vrai que nous en soyons arrivé à un tel état de
dépression morale, qu'il ne faille absolument compter que
sur la loi pénale pour contraindre Thomme à faire le
bien?
Nous croyons qu'il n'en est rien. Peut-être, à ne consi-
dérer qu'une certaine heure et un certain pays, pourrait-
on noter quelques signes alarmants. Mais, quand on veut
mesurer la marche d'une idée à travers les siècles, il ne
faut point se bornera considérer quelques années.
Le progrès ressemble à un de ces fleuves capricieux
qui, tantôt bondissent comme des torrents dévastant tout
sur leur passage, tantôt s'étalent paresseusement dans la
plaine, tantôt se contournant en replis sinueux semblent,
regrettant leur source, revenir sur leurs pas, mais qui,
d'une façon directe ou détournée, rapide ou lente, mais
toujours constante, coulent vers l'océan lointain.
Donc regardons de haut, embrassons par la pensée les
siècles, et mesurons Tespace parcouru par l'idée de soli-
darité, depuis le jour où, au milieu du monstrueux épa-
nouissement de la civilisation romaine, le christianisme
naissait, et ne désespérons pas de la conscience humaine.
Et du reste, le spectacle même de ces dernières années
CONCLUSIONS 131
ne confirme-t-il pas nos aftirmations et nos espérances ?
Est-ce que Tidée d'assistance ne triomphe pas partout,
et n'est-ce pas aux manifestations spontanées de l'ini-
tiative individuelle que ce triomphe est dû? Voici qu'un
irrésistible mouvement multiplie partout les associations
coopératives et de prévoyance qui groupent les intérêts,
les associations intellectuelles qui groupent les esprits et
les cœurs.
Bt au moment où nous écrivons ces dernières lignes,
Tenthousiasme populaire gronde autour de nous et des
acclamations vont, non pas à un triomphateur de la « lutte
pour la vie », mais à un vieillard vaincu, revêtu du seul
prestige de sa faiblesse, de son courage et du double deuil
où il confond ses enfants morts et sa patrie mourante.
Donc, quand on va au fond du cœur humain, on y trouve
toujours le sentiment de la justice et du devoir.Fions-nous-
cn à lui pour indiquer à l'homme Tétendue de ses devoirs
d'assistance, et ne demandons à la loi pénale que lagaran*
tie de sécurité qu'elle doit nous fournir.
La formule de punissabilitéde la commission par omis-
sion, telle qu'elle nous a paru résulter des textes de nos
Godes, est donc justifiée en droit public, justifiée aussi en
pratique, elle correspond à une juste appréciation du rôle
de l'homme dans la société et de ses devoirs envers ses
semblables, elle ne semble donc pas devoir être modi-
fiée.
i 32 CONCLUSIONS
Ce n'est pas sans un sentiment de mélancolique décon-
venue, qu'arrivé à la fin de ce travail, mesurant de TcEil
les feuillets de ce mince opuscule, et songeant à tout ce
qu'il contient cependant d'inutile, nous comparons les ré-
sultats obtenus avec ceux que nous avions rêvés. Il nous
avait semblé, constatant Toubli dans lequel nos maîtres
en droit pénal avaient laissé cette question, découvrir un
point inexploré du droit; nous nous étions bercé de la
joie de faire profiter la science juridique française des
énormes matériaux réunis par les auteurs allemands. II y
avait là une forte part de présomption, il était juste que
nous en fussions puni.
Notre peu de succès s'explique peut-être par le carac-
tère de pure casuistique de la question. Notre esprit, ha-
bitué au raisonnement limpide, précis et pratique des
maîtres de la science juridique française, s'est un peu
perdu dans les subtilités poussées à l'extrême de la science
allemande, et nous n'avons peut-être pas tiré de celle-ci
tout le parti que nous eussions dû (1).
Nous espérons toutefois que même notre échec ne sera
pas inutile : s'il tient à la question elle-même, il détour-
(i) Peut-être trouvera-t-oa que tout ce que nous avons gagné à son
contact, c'est un peu de Tobscurité et de la lourdeur de son style, sur-
tout dans les chapitres consacrés à Tétude de ces doctrines. Nous te-
nions à nous en excuser.
CONCLUSIONS 133
nera peut-être quelqu'un d'autre de la même tentative ;
s'il tient, au contraire, à la façon dont le sujet a été traité,
il déterminera, sans doute, un chercheur plus heureux à
faire un plus fructueux effort.
TABLE DES MATIÈRES
• Pages
Introduction 1
Chapitre I. — Problème de la commissioD par omission . . 11
Chapitre II. — La commission par omission dans la doctrine
allemande 16
Chapitre III. — Histoire doctrinale du problème de la commis-
sion par omission 40
Chapitre IV. — Analyse de la commission par omission com-
parée à la commission simple 52
Chapitre V. — Position du problème de la commission par
omission en droit public 63
Chapitre VI. — Doctrines matérialistes. I. La commission par
omission dans Tbypothèse du contrat ou du
quasi-contrat social 67*
Chapitre VII. — Doctrines matérialistes. II. La commission par
omission et les doctrines basées sur la biolo-
gie 74
Chapitre VIII. — Doctrines spiritualistes : La commission par
omission et le principe de la liberté hu-
maine 79
•
Chapitre IX. — La commission par omission et les principes du
droit français 90
Chapitre X. — Application pratique de la formule de la punis-
sabilité de la commission par omission . . . 100
Chapitre XI. — Modalités de la commission par omission. . . 111
COKCLUSlONé • • 125
Imp. J. TheveDot. Saint-Diiier (Haote-Manie)»
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